Mal-logement : un préoccupant état des lieux dressé par la Fondation Abbé Pierre
![Mal-logement : un préoccupant état des lieux dressé par la Fondation Abbé Pierre](https://www.lamontagne.fr/photoSRC/VVZTJ19dUTgIDAVOBQwd/familles-guineennes-et-logements-insalubres_5947696.jpeg)
La Fondation Abbé Pierre pousse douloureusement, année après année, la porte d’un monde où il n’y a pas de « chez soi » ou si peu, celui du mal-logement dont on sait qu’il hypothèque lourdement l’insertion sociale.
Hiver après hiver, le rapport annuel sur « L’État du mal-logement en France » de la Fondation Abbé Pierre frappe à la porte des pouvoirs publics pour les rappeler à leurs devoirs.
« Pas moins de 300.000 personnes sont sans domicile aujourd’hui, s’émeut Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation. Et leur nombre a doublé depuis 2012. »
La crise sanitaire a jeté une lumière crue sur cette réalité, des silhouettes informes engoncées dans un luxe de carton et de couvertures roides au « chez soi » où, faute de pouvoir acquitter les factures de chauffage, des familles vivent dedans comme dehors, à la merci de l’hiver.
« Les confinements et le télétravail, insiste Manuel Domergue, ont souligné l’importance d’avoir un vrai logement, ni indigne ni surpeuplé, qui fonctionne alors comme une bulle protectrice. À défaut, c’est à l’extérieur, au travail, à la bibliothèque, etc., qu’il faut chercher une échappatoire. »
Manifestement, rapport après rapport - et celui publié hier est le 27e?! - la Fondation Abbé Pierre peine à se faire entendre. « Ce quinquennat, particulièrement à son début, a amplifié le délitement du logement social, s’irrite Manuel Domergue. Le secteur est jugé inutile et coûteux et ses acteurs sont invités à faire mieux avec moins?! »
Moins de dépenses publiquesEt d’exemplifier : « Entrée en vigueur en 2021 avec la réforme des APL (aides au logement), la révision des droits tous les trois mois est grosse d’incertitudes. Les chiffres officiels confirment que cette “contemporanéisation” fait surtout des perdants. Sur six millions d’allocataires, 30 % ont perdu en moyenne 73 € et 400.000 ménages, toute allocation. À l’inverse, 18 % ont gagné 49 € et 115.000 sont devenus éligibles. Mais le principal gagnant reste l’État qui réalise 1,1 milliard d’euros d’économies en 2021. Et cette réforme s’ajoute à des coupes déjà régulières et massives de ces allocations depuis 2017. »
« De toute évidence, poursuit Manuel Domergue, la volonté de réduire la dépense publique prime. La production de logements sociaux, en baisse constante depuis le début du quinquennat, est à un niveau qui n’a jamais été aussi bas depuis 15 ans (87.000 agréments en 2020). En sept ans, pourtant, la demande de logement social a crû cinq fois plus vite que le nombre de ménages et deux fois plus vite que le nombre de logements sociaux pour atteindre 2,2 millions de ménages. Par ailleurs, 80.000 attributions de moins ont été enregistrées dans le parc HLM en 2020. »
D’autres chiffres encore, tout aussi accablants que convergents : « Le prix des logements, pointe le rapport 2022, n’a fait que croître depuis 20 ans pour atteindre une hausse de plus de 154 %. Les aides publiques au secteur du logement […] diminuent depuis 10 ans et n’ont jamais été aussi basses (1,6 % du PIB en 2020) alors que les recettes fiscales que rapporte le logement à l’État ont plus que doublé en 20 ans (79 milliards d’euros). »
Exclusion« Le logement, reprend Manuel Domergue, est pourtant la première pierre de l’insertion. Mais, sous ce quinquennat tout particulièrement, c’est le travail qui, seul, compte. Les aides sont conditionnées aux efforts. Les devoirs passent avant les droits. C’est une vision simpliste de ce qu’est l’exclusion qui renvoie à des freins psychologiques, sociaux, sanitaires et même économiques à en juger aux cinq millions d’inscrits à Pôle emploi, preuve qu’il ne suffit pas de traverser la rue pour trouver du travail. »
À un peu plus de deux mois de la présidentielle, ce rapport 2022 aura-t-il plus d’écho que les précédents?? On peut en douter car, comme le déplorent ses auteurs, « les thématiques relatives au logement et aux exclusions questionnent faiblement les états-majors politiques, souvent peu enclins à s’investir dans des domaines qui demandent des mesures fortes et du courage politique. » Et l’abbé Pierre n’est plus là pour les sermonner. « Chaque fois que l’on refuse 1 milliard pour le logement, écrivait-il, c’est 10 milliards que l’on prépare pour les tribunaux, les prisons, les asiles de fous. » (*)
Jérôme Pilleyre (*) Pensées inédites, pour un monde plus juste, Le Cherche-Midi.