Gaby Gauthier, emblématique boucher clermontois depuis trente ans, range (définitivement) les couteaux

Personnage incontournable de la capitale auvergnate depuis trente ans, Gaby Gauthier rend officiellement son tablier ce samedi 30 mars au soir. Les dernières heures d’une vie entière dédiée au noble art de la boucherie.

Les couteaux rangés. Le billot récuré. Ballet réglé et millimétré. Répété les yeux fermés. Il descendra une dernière fois ce samedi après-midi 30 mars la venelle sombre. Exactement comme il l’a remontée voilà près de trois décennies. Sur la pointe des pieds. Tout en discrétion avec l’élégance d’un danseur.

Dans sa façon d’être et de chorégraphier son métier, Gaby Gauthier, iconique dernier boucher de la rue de la Boucherie à Clermont-Ferrand, a l’âme d’un artiste. Aucune ostentation. Ni effet de manche. Pas un mot plus haut que l’autre. Juste l’infini respect taiseux des hommes et du produit comme mode d’expression.

Même si l’heure officielle de la retraite avait sonné depuis bien longtemps, quitter la scène et baisser définitivement le rideau ne sera pas un moment facile. Pas plus pour l’homme à l’éternelle blouse noire, son nom siglé de rouge, que pour sa fidèle clientèle, dont beaucoup sont devenus des amis.

Malgré l’émotion de l’au-revoir, l’heure est propice à rembobiner près de soixante ans d’une vie professionnelle bien balisée dès le départ. Car Gabriel Gauthier, né le 26 janvier 1950 à Saint-Georges-Lagricol (Haute-Loire), est pour ainsi dire tombé dans le milieu de la viande comme Obélix dans la marmite de potion magique.Gaby Gauthier, qui a pris la suite de Monsieur Mosnier en 1994, laissera une trace indélébile rue de la Boucherie. Issu d’une grande fratrie de trois sœurs et deux frères, le jeune Auvergnat suit très vite son père André, boucher-abatteur et marchand de bestiaux. Il découvre le jeu subtil des négociations pour l’achat des bêtes, le travail de carcasses entières.

« Comme je ne faisais rien à l’école et que j’ai raté le concours d’entrée en seconde, il m’a pris sous son aile pendant un an avant que je parte en apprentissage de boucherie au Puy. Sur les foires, la façon d’aborder les mecs, c’était plus qu’un métier, presque un art. Dans ce petit milieu rural, où tout le monde se connaissait, l’humain était au centre de tout. C’était une belle école de vie », dit-il avec le recul.

CAP de boucher en poche, le jeune Gabriel prend la direction de Lyon. « En un an et demi, j’ai travaillé chez six ou sept bouchers. C’étaient les années 1970. Tu quittais un patron à midi, tu rembauchais chez un autre à 13 heures. J’ai surtout rencontré mon ami Robert. Il avait 50 ans, j’en avais 20. Il travaillait en demi-gros pour Bocuse, Marguin ou Blanc, de grandes maisons. Il était dans la transmission et m’a fait toucher du doigt la beauté de la boucherie : choisir un morceau, l’apprécier et s’intéresser au travail des chefs. Cela a été un déclic. C’est vraiment mon mentor. Quand il s’est tué en voiture en rentrant chez lui en 1974, je l’ai pleuré comme si c’était mon père », se rappelle-t-il, encore ému.

C’est d’ailleurs sur les conseils de Robert que l’Altiligérien monte à Paris. « À l’époque, il y avait un gouffre entre la capitale et la province en matière de qualité du travail de la viande. J’ai trouvé des artistes, des gens qui évoluaient à des niveaux très élevés. Je pense à Tavaine, à Garches, qui était l’équivalent d’un Hugo Desnoyer aujourd’hui. Une star. »

Une expérience déterminante. « J’étais devenu exigeant. Je voulais avoir ma boutique. Mais mon père m’en a dissuadé. Au lieu de ça, il m’a fait entrer chez CED viandes, une boîte d’import-export, qui appartenait au groupe Interagra, de Jean-Baptiste Doumeng, le fameux milliardaire rouge. Un paysan du côté de Toulouse, parti de rien, qui avait le monopole du commerce avec le Kremlin. Une figure. »

L’Auvergnat vend alors de la viande partout dans le monde : bloc soviétique bien sûr, mais aussi l’Égypte, l’Iran, l’Irak, l’Afrique, etc. « J’y suis resté dix ans de 1975 à 1985. J’adorais le boulot. »

Avec Martine, son épouse, ponote pur jus, et leurs deux enfants, Stéphanie (1973) et Mathieu (1980), il s’envole, en 1985, pour une nouvelle aventure au Gabon. « J’avais eu l’occasion d’aller en Afrique. Le continent me plaisait. J’y suis même allé au départ pour vendre des fruits et légumes », rigole-t-il.

Brazzaville en 1988, puis Abidjan en 1991 suivront. « Mais en 1994, le franc CFA a perdu la moitié de sa valeur et tout le business s’est écroulé d’un coup. Il a fallu rentrer en France. »Gaby Gauthier et son cousin Jeannot Blachon (à gauche), le dernier chevillard du Puy-de-Dôme avant son départ à la retraite voilà trois ans, devant une côte de boeuf de Parthenaise. Une passion familiale pour les viandes d'excellence.  La boucherie Mosnier, rue de la Boucherie dans la capitale auvergnate, est à vendre. Ce sera l’inattendu point de chute. « Quelle idée de s’installer à Clermont ! La ville est noire, les Auvergnats sont radins, pouffe-t-il. C’est vrai qu’arriver en novembre, après le soleil de Côte d’Ivoire, ça fait tout drôle. Ça pique comme on dit. Mais j’ai trouvé beaucoup de chaleur, beaucoup de gentillesse. On ne vous saute pas à cou, c’est vrai. Il faut prouver d’abord. Et puis, c’était un plaisir de revoir mon cousin Jeannot (Blachon), chevillard à l’abattoir. »

Passer après un « personnage » comme Monsieur Mosnier n’est pas simple. « L’amour du métier et un peu d’orgueil m’ont sauvé. J’ai voulu apporter autre chose en travaillant avec le Pays basque et Pierre Oteiza, le bœuf de Galice, des viandes rares sans négliger l’Auvergne qui est fabuleuse. J’ai été au départ de l’aventure du Fin gras du Mézenc et noué de belles relations avec des éleveurs de ce territoire qui m’est cher », poursuit-il.

Trois décennies presque bénies, à travailler avec « ses » femmes, Martine et Stéphanie, sans oublier « Kiki », le vieux complice des années africaines.

« Des gens m’ont marqué. Je pense à mon ami boucher Aimé Roturier, Meilleur ouvrier de France (MOF) qui venait composer des vitrines avec moi à Clermont. Ou encore Alain Ducasse avec qui j’ai eu la chance de travailler. Ce qu’il a fait et continue de faire est incroyable. »

Au moment de tirer sa révérence et de passer la main, la passion est intacte. Sa conception de la retraite est, elle-même, très relative. S’il a prévu de profiter davantage de ses petites-filles chéries, Charlotte et Lucine, quelques happenings culinaires mijotent déjà. Son premier acte de jeune retraité sera même de s’acheter une toute nouvelle batterie de couteaux de Thiers. On ne se refait pas. On continue seulement.

Dominique Diogon Photos Richard Brunel