Ce que la psychanalyse révèle de l'amour
Le divan de Lacan était minimaliste: un simple lit recouvert d'un tissu gris et complété par un traversin. Il était échu en héritage à Sibylle, la fille mal aimée de Lacan, qui ne lui accordait aucune signification particulière et l'a vendu à l'hôtel Drouot le 5 octobre 1991.
Comble de l'ironie, l'acheteur n'avait rien d'un lacanien obsessionnel: il s'agissait en effet pour cet amoureux attentionné d'offrir un cadeau original à sa fiancée psychologue. Mais n'était-ce pas finalement la plus belle manière de célébrer la mémoire de Jacques Lacan que de faire de son divan un gage de passion?
Comme Élisabeth Roudinesco le remarque dans son Dictionnaire amoureux de la psychanalyse, la conception analytique de l'amour renvoie à toutes les entrées du volume, notamment au transfert. L'historienne a d'ailleurs conçu son dictionnaire comme un inventaire. Elle demeure fidèle en cela à l'enseignement de son ami l'écrivain Georges Pérec –analysé notamment par Jean-Bertrand Pontalis– qui aimait aussi bâtir ses livres à partir de citations.
Dans la liste des aphorismes de Jacques Lacan constituée par Élisabeth Roudinesco, on savourera ses paradoxes sur l'amour. On se rappelle celui-ci: "L'amour, c'est donner ce qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas", ou encore cette autre phrase, moins connue: "Je te demande de refuser ce que je t'offre parce que ce n'est pas ça".
Impossible naturellement de célébrer la psychanalyse sans évoquer Jacques Lacan, le génial continuateur de Freud. Mais à la lecture de l'index du volume, on s'aperçoit qu'aux yeux d'Élisabeth Roudinesco, un des contemporains de Lacan a également contribué à enrichir le corpus des textes psychanalytiques. Il s'agit de Louis Althusser.
Le philosophe, en analyse avec René Diatkine à partir de 1964, a écrit d'importants articles théoriques consacrés à la psychanalyse, notamment "Freud et Lacan" (janvier 1964). Mais dans sa correspondance amoureuse avec sa traductrice italienne, Franca Madonia, il a plus particulièrement inclus ses perceptions d'analysant.
Son amour pour Franca apparaît comme dépendant de sa relation parfois apaisée mais plus souvent tendue, semble-t-il, avec Diatkine. S'il lui était interdit "d'apporter" tous ses rêves à son analyste qui les limitait à deux ou trois par cure, il lui était tout aussi impossible de vivre le bonheur avec Franca.
La page 23 du dictionnaire d'Élisabeth Roudinesco est émouvante car elle associe les Lettres à Franca aux Lettres à Anne de François Mitterrand, récemment parues. Leurs qualités littéraires de premier plan permet d'assimiler ces deux correspondances, qui révèlent en outre deux inoubliables figures de femmes.
Si on ne relève aucune référence à Jacques Lacan dans l'index des Lettres à Anne, on y découvre deux entrées au nom de Freud, dont une relative au transfert: "j'ai souvent pensé à te faire un enfant. Freud eût été content du transfert!" Du reste, à la liste des lieux favorables aux psychanalystes qu'on trouve dans son dictionnaire, Élisabeth Roudinesco aurait pu ajouter Gordes, ce village du Lubéron qu'Althusser et Mitterrand ont beaucoup fréquenté l'un et l'autre dès le milieu des années 1960. C'est un de leurs points communs auxquels on ne songe pas a priori, mais qui mériterait d'être étudié en détails.
Car s'ils sont des lecteurs sagaces, les psychanalystes sont également de grands voyageurs. Élisabeth Roudinesco a arpenté Vienne ou Londres, villes freudiennes par excellence, mais également New York, Saint-Pétersbourg ou certaines cités brésiliennes. Sa connaissance de la géographie de la psychanalyse permet à l'historienne de marier un concept à une ville: le ça pour Paris ou le désir pour Rome.
Ainsi, plusieurs parcours sont-ils envisageables dans le Dictionnaire amoureux de la psychanalyse: d'un auteur à l'autre, d'une ville à l'autre ou d'un concept à l'autre. Vaste lieu de mémoire, l'ouvrage pourra constituer un précieux cadeau à la personne aimée qui ne se paiera ni d'illusions, ni de faux-semblants.
Élisabeth Roudinesco, Dictionnaire amoureux de la psychanalyse, avec des dessins d'Alain Bouldouyre, éditions Plon/Le Seuil, 2017
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