« Contrôles au faciès » : six associations lancent la première action de groupe contre l'Etat
La procédure avait fait son entrée dans le droit français fin 2016, via la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle. Quatre ans plus tard, la voilà activée pour la toute première fois.
La mise en demeure a été formalisée ce mercredi, avec l’envoi d’un dossier de 145 pages au chef du gouvernement, Jean Castex, ainsi qu’au ministre de l’Intérieur et au garde des Sceaux. L’épais document est le fruit d’un travail mené par six associations dénonçant les « contrôles fondés sur des caractéristiques physiques, associées à une origine réelle ou supposée ». Il compile travaux sociologiques, rapports d’institutions de défense des droits de l’homme, rappels de condamnations passées ou encore témoignages de victimes et même de policiers.
L’État a quatre mois devant lui« Toutes les preuves sont là, réunies, pour confirmer l’existence et la persistance de cette forme odieuse de discrimination », juge Cécile Coudriou, la présidente d’Amnesty International France, partie prenante à la procédure.
« Nous sommes face à un problème connu et reconnu, pourtant l’État ne fait rien ou presque. Par son inaction, il se rend coupable de manquements graves à ses obligations », tacle Me Lyon-Caen, le conseil du collectif d’ONG, qui appelle à une réponse rapide et surtout « systémique ».
« Notre démarche ne vise pas à accuser tel ou tel agent de racisme. Il s’agit de montrer que le système lui-même a généré ces pratiques. Dans cette optique, l’action de groupe nous offre un vrai levier de transformation sociale. »
Avec cette mise en demeure, le sablier est retourné. L’exécutif dispose désormais d’un délai légal de quatre mois pour annoncer des réformes ou « prendre des initiatives, comme celle de faire des contrôles au faciès un chapitre à part entière du Beauvau de la sécurité », suggère Me Lyon-Caen.
Le dossier envoyé ce mercredi comporte d’ailleurs une série de propositions. Exemples?: la modification du code pénal « pour interdire explicitement la discrimination dans les contrôles d’identité », la mise en place d’une traçabilité de chaque vérification opérée par un policier, la création d’un mécanisme de plainte « efficace et indépendant », mais aussi la révision « des objectifs, des instructions et de la formation » des forces de l’ordre.
« Citoyen d’origine contrôlée »Faute de réaction jugée satisfaisante, la justice pourra être saisie à partir de fin mai. Sachant que la généralisation annoncée des caméras-piétons est d’ores et déjà qualifiée de « notoirement insuffisante » par les acteurs.
À entendre les six ONG, il y a urgence à agir. « Être un “citoyen d’origine contrôlée”, cela a un vrai impact sur le sentiment d’appartenance à la République et à la communauté nationale. Les choses doivent changer, et vite », met en garde Omer Mas Capitolin, à la tête de la Maison communautaire pour un développement solidaire.
« Ces pratiques grignotent et sapent le vivre-ensemble. Elles nourrissent le repli sur soi et même le repli communautaire ».
Parmi ces responsables-militants, aucun n’a oublié les mots d’Emmanuel Macron, début décembre, lors de son interview au média Brut. « Aujourd’hui, quand on a une couleur de peau qui n’est pas blanche, on est beaucoup plus contrôlé. [...] On est identifié comme un facteur de problème et c’est insoutenable », avait lâché le chef de l’État.
« L’heure n’est plus aux effets d’annonce, elle est aux actes », lui répond Cécile Coudriou, d’Amnesty.
Stéphane Barnoin
« Insupportable ». Frédéric Lagache, le secrétaire général du syndicat de police Alliance, voit dans cette action de groupe « une manœuvre orchestrée par quelques groupes qui tentent d’exister ». Selon lui, la création d’un dispositif type « récépissé » après chaque contrôle reviendrait à créer un « passeport d’immunité pour les délinquants ». « Même si on suspecte une infraction, on va les contrôler une fois, mais pas deux, par peur d’être sanctionné. En gros, ils pourront faire ce qu’ils veulent ! »Autre « aberration », selon Frédéric Lagache : « Si on suit ces associations, comment on va travailler dans certains quartiers transformés en ghettos ? On ne fera plus rien, tout simplement. » Le responsable syndical dénonce au passage le « soupçon de racisme permanent qui pèse » sur les forces de l’ordre. « Cela devient insupportable. Bien sûr, le policier doit être respectable. Mais il faut aussi le respecter. »