Tunisie: l'ex-président Marzouki accuse Kais Saïed de vouloir importer le modèle de "l’Égypte de Sissi"
Après avoir obtenu un score dérisoire au premier tour de la présidentielle de 2019, l'ex-président Moncef Marzouki s'était rangé derrière le futur élu, Kais Saïed. Mais depuis que le chef de l'Etat s'est arrogé les pleins pouvoirs, il en est devenu le principal détracteur. Depuis le coup de force du président Saïed le 25 juillet, M. Marzouki, qui vit à Paris, est sorti de sa réserve, multipliant les interventions sur les chaînes de télévision, notamment Al-Jazeera, et sur les réseaux sociaux pour appeler à la destitution d'un homme qu'il qualifie de "putschiste" et "dictateur" et l'accuse d'avoir trahi la Constitution.
Opposant historique à la dictature de Ben Ali puis premier président de l’après-révolution (2011-2014), Moncef Marzouki, 76 ans, a longtemps symbolisé le combat pour la démocratie en Tunisie, même si son image s’est brouillée du fait notamment de son alliance controversée avec le parti d’inspiration islamiste d’Ennahdha. Son aisance oratoire n’est pas sans rappeler celle du chef de l’Etat, même s’il s’illustre dans un registre intellectuel alors que M. Saïed, élu avec plus de 70 % des voix, tient un discours aux accents populistes.
“Parmi les ennemis de la Tunisie”
Si M. Marzouki adresse ses virulentes critiques directement au chef de l'Etat, ce dernier ne cite jamais le nom de son adversaire, comme lorsqu'il l'a accusé de "comploter" contre la Tunisie pour avoir appelé la France ne pas soutenir son "régime dictatorial". M. Saïed a appelé la ministre de la Justice à ouvrir une enquête sur "cette affaire", et ordonné le retrait du passeport diplomatique de celui qui figure à ses yeux "parmi les ennemis de la Tunisie".
La riposte de M. Marzouki n'a pas tardé. Il a dénoncé sur Facebook "une dictature naissante dans laquelle la personnalité du dictateur se confond avec la patrie, rappelant le régime de Ben Ali sous lequel s'opposer au dictateur était considéré comme une trahison". Il a aussi accusé M. Saïed de chercher à importer en Tunisie le modèle de "l'Égypte de Sissi". Abdel Fattah al-Sissi, ex-chef de l'armée, mène depuis son coup d'État de juillet 2013 une répression implacable contre l'opposition, particulièrement les Frères musulmans.
En dépit de son activisme, M. Marzouki continue de pâtir d’un déficit de popularité dans l’opinion publique, peu encline à lui pardonner ses compromissions passées avec Ennahda.
Il rejette cette proximité et dirige ses flèches contre M. Saïed et le chef d'Ennahda et du Parlement, Rached Ghannouchi, imputant aux deux hommes la responsabilité de la crise politique qui risque de saborder la démocratie née du Printemps arabe dont la Tunisie fut le berceau en 2011. Les deux dirigeants doivent selon lui "quitter le pouvoir, sinon ils vont conduire la Tunisie à sa perte".