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Ноябрь
2021

Apichatpong Weerasethakul : “C’était comme faire à nouveau un premier film”

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C’est dans une chambre d’hôtel de Bogotá, via Zoom, qu’Apichatpong Weerasethakul a répondu à nos questions, entre deux projections de son nouveau film dans le pays où il a été conçu, la Colombie. Il aura fallu six ans au cinéaste thaïlandais, récemment entré dans sa cinquième décennie, pour donner suite à son sublime Cemetery of Splendour. Six ans durant lesquels il n’a toutefois pas chômé, multipliant les films courts, les installations, les ouvrages d’art… et survivant, comme tout le monde, au Covid, qui l’avait empêché de présenter Memoria en 2020 à Cannes.

Cette durée, la plus longue entre deux de ses huit longs métrages, nous a rappelé à quel point son cinéma nous était, comme peu d’autres, vital. Une drogue puissamment hallucinogène, la plus douce de toutes mais aussi la plus addictive ; une plongée en apnée dans les arcanes du cerveau tout ce qu’il y a de plus universel, quand bien même certains de ses embranchements pourraient paraître obscurs. Particulièrement dans un monde qui panse ses blessures, rien ne peut faire plus de bien aux yeux et aux oreilles qu’un nouveau film d’Apichatpong Weerasethakul – et ici les oreilles sont particulièrement bien traitées.

Préoccupé comme toujours par la maladie et le soin, enchâssant comme nul autre des sensations contradictoires dans un présent qui communique fluently avec le passé et le futur, Memoria opère cependant un déplacement important : c’est le premier de ses films à avoir été fabriqué à l’étranger, avec des stars du cinéma d’auteur international. Une déterritorialisation pour mieux se retrouver ?

Vous êtes en Colombie pour la sortie de votre film. Comment cela se passe ?

Bien ! Aujourd’hui, j’ai vu la bande-annonce de Memoria dans un cinéma de Bogotá, et je n’avais pas l’impression que c’était mon film. Pendant quelques secondes, j’ai eu le sentiment de découvrir un film colombien… Il semble se fondre dans le paysage, et j’en suis très heureux.

C’est amusant que vous disiez cela, parce que, en ce qui nous concerne, la première chose qui nous a frappé·es en découvrant le film à Cannes, c’est qu’il n’y avait finalement pas tant de différences avec vos précédents films… Vous avez transposé votre univers en Colombie. Qu’est-ce que ça a changé, pour vous, de tourner à l’étranger, avec deux stars, Tilda Swinton et Jeanne Balibar ?

J’avais l’intention de faire autre chose que d’habitude, mais visiblement je n’y arrive pas ! [rires] En tout cas, le processus créatif a été différent. J’avais envie de me plonger dans une culture que je ne connaissais pas, avec une langue que je ne parlais pas. Et j’ai eu l’impression de repartir de zéro, de réapprendre le cinéma. C’était comme faire à nouveau un premier film… Je me suis laissé guider par cette sensation, et Memoria est peu à peu devenu un film sur la perte d’identité, l’étrangeté et sur la non-appartenance. C’est quelque chose que je ressens moi-même.

Vous ne vous sentez plus chez vous en Thaïlande ?

On a connu plusieurs coups d’État successifs, et le dernier a eu lieu pendant que je tournais Cemetery of Splendour [2015]. Et là je me suis dit que c’était terminé, que je ne souhaitais plus travailler en Thaïlande. Ce n’est pas simplement le régime, mais une large part de la population qui est devenue autoritaire et conservatrice. C’est ça qui m’a poussé à tourner ailleurs.

À lire aussi : Apichatpong Weerasethakul déploie son univers onirique à l’IAC de Villeurbanne

Vous vous considérez comme un cinéaste en exil ?

Pas tout à fait : on ne m’interdit pas formellement. Je n’ai plus de projets de longs métrages là-bas depuis 2015, mais j’y tourne encore des courts métrages. Je considère que c’est un moyen d’expression différent et que ces films doivent impérativement être faits en Thaïlande. Ils émanent d’un sentiment d’urgence que je ressens quand je suis là-bas. Tandis que pour les longs, je me prépare beaucoup et je tends à m’extraire du réel. Or je n’ai plus la sérénité nécessaire pour faire ça en Thaïlande, du fait de la situation politique.

“Même si l’idée générale vient de moi, j’ai écrit Memoria pour Tilda Swinton et je n’aurais pas pu le faire avec quelqu’un d’autre. Elle était le vaisseau idéal.”

Vous évitez toute référence directe à la politique colombienne, mais vous y faites légèrement allusion. Une tension sourde émane des scènes urbaines, comme si quelque chose était prêt à exploser…

En effet, je ne voulais pas faire un film politique dans la mesure où il ne s’agit pas de mon pays. Mais il y a une instabilité, une tension qu’on ressent instantanément et qui est là, dans l’air. Je ne pouvais pas ne pas la saisir et, en même temps, il aurait été inutile de chercher activement à la saisir. Inutile et même déplacé : je reste un outsider, et c’est très bien comme ça. Les Colombiens qui ont vu le film m’ont d’ailleurs remercié pour cette vision qui leur paraît authentique.

Comment avez-vous rencontré Tilda Swinton et comment en êtes-vous venu à travailler avec elle ?

Elle a vu Tropical Malady à Cannes en 2004 [Tilda Swinton fait alors partie du jury], elle m’a contacté et je l’ai rencontrée quelques années plus tard – j’ai oublié la date exacte –, à Londres, dans un festival. On s’est tout de suite bien entendus et on s’est dit qu’il faudrait qu’on collabore un jour ou l’autre.

Vous étiez fan d’elle ?

Je connaissais surtout son travail avec Derek Jarman, je n’avais pas vu le reste. D’ailleurs, je ne l’ai toujours pas vu ! Donc je ne dirais pas que j’étais fan d’elle comme actrice, mais il y a quelque chose dans son attitude qui m’a tout de suite plu. Même si l’idée générale vient de moi, j’ai écrit Memoria pour elle et je n’aurais pas pu le faire avec quelqu’un d’autre. Elle était le vaisseau idéal.

À lire aussi : Notre grand entretien avec Tilda Swinton en 2019 : “J’ai fini par me sentir en paix avec mon étrangeté”

Et Jeanne Balibar ?

On s’est rencontrés dans le jury, à Cannes, en 2008 et on est restés en contact. Je n’ai pas vu non plus beaucoup de ses films – j’en vois désormais très peu vous savez… Jeanne est si différente de Tilda. Elle est toujours Jeanne Balibar, elle a choisi d’être Jeanne Balibar, et on ne peut pas la changer. Elle n’est pas dans le réalisme, elle apporte de la fiction dès qu’elle entre sur le plateau, avec son phrasé flottant, et pour moi elle fait le pont entre Tilda et l’autre monde, ce monde qui commence dans un tunnel creusé sous la montagne, dans un petit village dans la jungle…

Tilda Swinton, au contraire, est une transformiste…

Oui, mais comme je n’ai pas vu beaucoup de ses précédents films, je ne m’en rends pas compte. Avant le film, on a beaucoup travaillé sur ses cheveux, qui sont un élément très important de son jeu. On a essayé plusieurs coiffures, plusieurs looks, et elle m’a fait confiance. On a cherché une forme de… transparence, je dirais. Sans apprêt, sans maquillage. Au début, je ne savais pas exactement ce que je cherchais, et on a trouvé le personnage ensemble.

Ça change quelque chose pour vous de diriger une star ou un·e acteur·trice non professionnel·le ?

Oui et non… Même si Tilda et Jeanne sont des stars, elles ont su s’adapter à mon style et ne se sont pas vraiment comportées en stars. Ce qui m’intéressait, c’était de partager avec elles le sentiment d’être étranger. Tilda, il s’agissait de la dénuder, pas littéralement mais psychologiquement. Et de la ralentir. Je lui disais par exemple de se mouvoir comme si elle était sous l’eau…

Dans le film, Elle porte le même nom, que l’héroïne de Vaudou (1943) de Jacques Tourneur : Jessica Holland. Dans quelles conditions avez-vous découvert ce film ?

Je l’ai vu à Paris il y a… une dizaine d’années peut-être ? Dans une salle du… quartier étudiant [Quartier latin] ? Je me souviens que c’était comme un rêve. Un entre-deux, entre le sommeil et l’éveil. J’ai aussi vu La Féline dans le même cycle, mais j’ai préféré Vaudou, qui m’a laissé une empreinte plus forte.

“L’aspect sonore du cinéma m’a toujours passionné, mais jusqu’ici je l’explorais plus dans mes courts et mes installations. C’est un manipulateur invisible…”

Vous disiez tout à l’heure que l’idée de Memoria était fondée sur votre propre expérience. Vous avez eu un son obsédant dans la tête ?

Généralement, mes films s’inspirent d’un lieu ou d’un personnage, mais cette fois-ci je suis parti d’une expérience intime. J’ai eu, pendant plusieurs années, un son dans la tête. Je ne sais plus exactement quand ça a commencé, peu de temps après Oncle Boonmee [2010]. Ça s’appelle le syndrome de la tête qui explose, et c’est documenté depuis un siècle. À Cannes, un journaliste m’a confié qu’il en souffrait également. Sauf que moi je n’en souffrais pas vraiment. Au contraire, je finissais par être en mesure de le contrôler et d’en tirer un certain plaisir. C’était accompagné de figures géométriques très belles – des ronds, des carrés – et de flashs lumineux… Mais après avoir fait Memoria, le son a disparu. Mystérieusement. Je ne l’ai plus entendu depuis.

Le son est encore plus pourvoyeur de sensations que l’image, ça touche le subconscient plus directement, et Memoria a de ce fait quelque chose d’obsédant…

Oui, je suis d’accord. L’aspect sonore du cinéma m’a toujours passionné, mais jusqu’ici je l’explorais plus dans mes courts et mes installations. C’est un manipulateur invisible… C’est pour ça que j’insiste pour que le film soit vu en salle. On n’a donné de lien à personne, même pas aux festivals. J’ai failli ne pas être sélectionné à Toronto à cause de ça, mais je m’en fiche. C’est un film fait pour la salle.

Tilda Swinton © Kick the Machine Films

Vous avez peur de la possible disparition des salles, à plus ou moins long terme ? Pourriez-vous faire des films pour les plateformes de streaming ? Et d’ailleurs, y êtes-vous abonné ?

Je ne crois pas que les salles disparaîtront de mon vivant… Et il ne faut pas dire jamais, mais je ne crois pas que je pourrais faire des films directement pour le streaming, même si je ne juge pas ceux qui en font. Il y a la place pour différents types de films. Je ne suis pas très cinéphile, mais je suis abonné à quelques plateformes (Netflix, HBO), et il m’arrive de regarder des choses sur mon ordinateur portable – plutôt que dans le home cinema que je me suis installé chez moi mais dont je ne me sers presque jamais.

“Mes idées viennent plutôt dans des états de sommeil ou de demi-sommeil. Les voyages m’inspirent aussi beaucoup. J’aime être sur la route.”

Que regardez-vous ? Des films uniquement ? Des séries ?

Je me suis abonné à HBO pour voir Westworld, dont on m’avait parlé. Ça m’a bien plu, mais je n’ai rien vu d’autre.

Twin Peaks ?

Non, je n’ai même pas vu la série originale. Le seul de ses films que j’aie vu, et beaucoup aimé, est Blue Velvet.

Outre ses films, qui ne sont pas sans liens avec les vôtres, David Lynch est connu pour méditer. Et il explique souvent que c’est grâce à ça qu’il trouve ses idées. Idées qu’il compare à des poissons, qu’il va pêcher dans un océan méditatif. Plus la méditation est profonde, plus les poissons sont gros. Est-ce une méthode qui vous parle ?

C’est le contraire : plus je médite, moins je veux faire de films. Pour moi, le cinéma est lié aux souvenirs et à l’attachement, or la méditation est faite pour se détacher. C’est très bien aussi, mais c’est contradictoire. Mes idées viennent plutôt dans des états de sommeil ou de demi-sommeil. Les voyages m’inspirent aussi beaucoup. J’aime être sur la route.

>> À lire aussi : “Twin Peaks : The Return”, une tentative de bilan

Lors de la sortie de Cemetery of Splendour, vous nous aviez confié vous intéresser beaucoup aux neurosciences. Ça a été une source d’inspiration pour Memoria ?

Oui ! Je m’intéresse à la médecine en général et à ce qui se passe dans le cerveau en particulier. Je crois que la science finira par réussir à tout expliquer, même les phénomènes qu’on classe aujourd’hui comme paranormaux. J’ai beaucoup lu Oliver Sacks, un neurologue anglo-américain, auteur de nombreux ouvrages de vulgarisation. Il a notamment travaillé sur les hallucinations et sur l’effet des drogues psychédéliques.

À un moment, Tilda Swinton boit une décoction qui s’apparente à de l’ayahuasca, une plante qui provoque de très puissantes hallucinations, avec des effets thérapeutiques prouvés. L’avez-vous vous-même essayée ?

Ce fut une expérience mémorable. Ça m’a permis de débloquer certains traumas du passé, de me confronter à des sortes de démons pour apprendre à les apprivoiser. Ça a été libérateur. J’ai aussi essayé les champignons hallucinogènes : ils m’ont ouvert l’esprit et permis d’aller vers le monde, d’avoir l’impression de ne faire qu’un avec lui. On peut y parvenir par la méditation, mais ça prend cent fois plus de temps…

Quels sont vos prochains projets ?

Je planche sur un film en VR [réalité virtuelle] et un long métrage sur un gourou. C’est inspiré de plusieurs histoires, notamment indiennes, mais je vais à nouveau le tourner en Amérique latine. Je suis en train de faire des recherches.

Memoria d’Apichatpong Weerasethakul, avec Tilda Swinton, Elkin Díaz, Jeanne Balibar (Col., Thaï., Fr., All., Mex., Qatar, G.-B., Chine, Suisse, 2021, 2 h 16). En salle le 17 novembre.

Exposition Periphery of the Night d’Apichatpong Weerasethakul, jusqu’au 28 novembre, Institut d’art contemporain, Villeurbanne





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