La question du travail carcéral soumise au Conseil constitutionnel
La question controversée du statut du travail en prison sera soumise mardi au Conseil constitutionnel, alors qu'une pétition signée par 254 universitaires réclame la mise en place d'un véritable droit du travail pour les détenus.
Le Conseil d'État a décidé le 6 juillet de transmettre aux "sages" de la rue Montpensier une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), déposée par l'avocat d'un détenu du centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne.
Ce dernier avait saisi la justice administrative pour obtenir l'annulation, "pour excès de pouvoir", d'une décision du directeur d'établissement le déclassant de son poste d'opérateur au sein des ateliers de production de la prison.
Dans son arrêt consulté par l'AFP, le Conseil d'État a estimé que ce litige posait la question de la conformité de l'article 33 de la loi pénitentiaire de 2009, qui précise que "la participation des détenus aux activités professionnelles (...) donne lieu à +un acte d'engagement+ de l'administration pénitentiaire", avec le "droit à l'emploi" garanti par la Constitution.
Le Conseil constitutionnel disposera de trois mois pour se prononcer.
L'enjeu est de taille: 23.423 personnes, soit 35% des détenus, ont eu - en moyenne mensuelle - une activité rémunérée en 2014, soit 758 de moins qu'en 2013, selon l'administration pénitentiaire.
Pour l'Observatoire international des prisons (OIP), qui soutient l'action du requérant, "l'acte d'engagement, établi unilatéralement par l'administration pénitentiaire", n'apporte "aucune garantie (...) à l'exercice des droits fondamentaux" des détenus.
"Soumis aux desiderata de l'administration pénitentiaire ou des entreprises concessionnaires, les travailleurs détenus peuvent être privés de repos hebdomadaire, ou ne travailler que quelques heures par mois, sans compensation des heures chômées. Ils n'ont le droit à aucune indemnité en cas de maladie ou d'accident du travail, ne peuvent prétendre au salaire minimum, ni se prévaloir d'aucune forme d'expression collective ou de représentation syndicale", dénonce l'OIP.
- 'Déni de droit' -
"Faut-il encore une fois rappeler que dans la peine d'emprisonnement, la seule punition prévue par la loi est la privation de liberté?" interpellent lundi dans une pétition 254 universitaires, dont de nombreux professeurs de droit, pour qui "le temps est venu de légiférer".
Le Conseil constitutionnel "a une occasion historique de revenir sur ce déni de droit", "il doit sonner le glas d'un régime juridique aussi incertain qu'attentatoire aux droits sociaux fondamentaux des personnes incarcérées travaillant", affirment les signataires.
"Le législateur n'a pas fait son boulot, il doit répondre à la déficience d'encadrement de la relation de travail en prison", explique Philippe Auvergnon, directeur de recherche au CNRS et co-initiateur de la pétition, en réclamant la mise en place "d'un droit du travail pénitentiaire qui tienne compte des spécificités carcérales".
En juin 2013, une première QPC visant à dénoncer l'exclusion des travailleurs détenus du bénéfice d'un contrat de travail avait été rejetée par le Conseil constitutionnel, mais l'OIP se dit cette fois confiante sur l'issue de la procédure.
"Si l'encadrement d'une relation de travail par un contrat (...) n'est pas une exigence constitutionnelle, le respect des droits et principes constitutionnels doit être, quant à lui, toujours garanti, quel que soit le caractère dérogatoire du régime appliqué", fait-elle valoir.
Le régime du travail carcéral avait été dénoncé par l'ancien Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue. Il s'était notamment interrogé sur les raisons pouvant justifier "l'ignorance" en prison "des règles de droit commun" en matière de "relation au travail".