Qui veut participer à la retranscription des cahiers de doléances creusois ?
Manon Pengam, une jeune chercheuse en linguistique, étudie les cahiers de doléances creusois. Elle lance un appel citoyen : elle cherche de l’aide pour retranscrire les contributions laissées par les habitants dans les mairies en 2019.
Souvenez-vous. En plein mouvement des Gilets jaunes, le président Macron lançait le Grand débat national au début de l’année 2019. Des réunions publiques étaient organisées partout en France et des cahiers de doléances disposés dans les mairies. Les citoyens ont eu trois mois pour venir rédiger leurs contributions. Retraites, pouvoir d’achat, services publics, écologie… Les revendications étaient nombreuses.
Inédit depuis 1789« C’était un dispositif inédit depuis 1789 », commente Manon Pengam. Cette jeune enseignante-chercheuse en linguistique (CY Cergy Paris Université), qui habite à Colondannes, étudie depuis cet été les cahiers de doléances de la Creuse.
Toutes les contributions des Français auraient dû être consultables sur internet. « Dans les faits, ça ne s’est pas passé comme ça, indique la chercheuse. La raison officielle, c’est la confidentialité des données. »
Manon Pengam a dû s’armer de patience pour pouvoir consulter les documents à des fins scientifiques. Elle a fait une demande aux Archives nationales à Pierrefitte-sur-Seine, qui conservent les fichiers numérisés. Mais « ça n’a pas fonctionné ». Elle s’est alors tournée vers les Archives départementales de la Creuse qui ont les documents papier. « J’ai pu accéder à trois cartons sur six au total. Je les ai consultés sur place. J’ai pris des photos, j’ai numérisé. » Elle a désormais les fichiers en PDF. Elle estime qu’il y a « à peu près 500 contributions creusoises » dans les six cartons.
Ça n’est pas énorme mais c’est suffisamment représentatif d’un ensemble de revendications, de documentation sur ce que c’est de vivre en territoire hyper rural.
Manon Pengam travaille seule sur ce projet. Elle a pour le moment retranscrit sur ordinateur moins d’une centaine de doléances. « Ça donne les grandes tendances qui vont se dégager du corpus. »Photo Bruno BarlierLa chercheuse étudie le langage. Elle réalise une étude linguistique et discursive des documents. « Ce qui m’intéresse, c’est de comprendre la fréquence des mots, les expressions récurrentes. » Les deux mots qui reviennent le plus souvent sont “retraite” et “rural”. « J’ai été surprise que le mot “campagne” soit très peu présent. Je regarde aussi comment les mots vont être employés dans le discours. » Des logiciels lui permettent de voir les thèmes qui ressortent.
Elle lance un appel pour la retranscriptionPour dépouiller le reste des contributions, elle a besoin d’aide. « C’est extrêmement chronophage la retranscription. J’aimerais lancer un appel citoyen. Toute personne intéressée par ces données peut participer. C’est le principe de la science ouverte. » Les documents seront anonymisés.
Les volontaires qui souhaitent participer à ce projet de recherche peuvent contacter Manon Pengam. Qu’ils aient quelques heures ou quelques jours à consacrer à la reproduction des documents sur ordinateur, leur aide sera précieuse. L’idée est d’avoir terminé la retranscription dans deux à trois mois. La chercheuse doit écrire un article scientifique sur le sujet en janvier.
Des entretiens réalisés avec des Gilets jaunesElle va enrichir cette première source de discours par des entretiens réalisés avec des acteurs du mouvement des Gilets jaunes et des maires de Creuse.Elle compte faire part de l’avancée de ses recherches sur un site internet « avec des billets vulgarisés ». Des réunions publiques devraient aussi être organisées pour restituer son travail.
Ça n’est pas voué à rester dans ma besace de chercheuse, sourit-elle. J’aimerais que ce travail puisse donner lieu à remobiliser un espace d’expression citoyenne.
Elle échange régulièrement avec des collègues de l’université de Bordeaux qui travaillent sur les cahiers de doléances de la Gironde. « J’ai participé récemment à un colloque à Bordeaux. Il y a une demande très forte des gens de connaître nos résultats de recherche et de participer, raconte-t-elle. Le mouvement est en sommeil, mais il y a une volonté de se remobiliser qui est bien présente. » L’objectif de son travail est donc à la fois scientifique et citoyen.
Pourquoi cette jeune chercheuse de 30 ans a-t-elle choisi de se pencher sur les cahiers de doléances creusois ? Elle n’a pas participé au mouvement des Gilets jaunes, ni à la rédaction des cahiers. « Je m’intéresse beaucoup aux discours des radicalités, des fractures, explique-t-elle. J’ai été amenée à m’intéresser aux discours des ruralités. C’est intéressant. Ce dispositif des cahiers de doléances n’avait pas existé depuis plus de deux siècles ! On a un matériau d’une richesse inestimable pour connaître les opinions, les valeurs des citoyens. » Originaire de Bretagne, Manon Pengam habite à Colondannes, en Creuse, depuis deux ans. Elle a donc aussi un intérêt personnel pour le sujet. « Je suis fonctionnaire d’une université francilienne mais habitante de la grande ruralité. Les thématiques qui sont présentes dans les cahiers de doléances me traversent, par exemple celle de la mobilité avec les inquiétudes de fermeture de la gare de la Souterraine. » Elle souhaite au final « rendre visible ce territoire que les Creusois considèrent comme oublié ».
Contact. Par mail manonpengam@gmail.com ou manon.pengam@cyu.fr
Catherine Perrot
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