Jamais gouvernement israélien n'a été aussi droite...
Colonies, diplomatie et État de droit : le retour au pouvoir de Benyamin Netanyahou à la tête du gouvernement le plus à droite qu’a connu Israël interroge. Début de réponses avec le politiste Alain Dieckhoff, professeur à SciencesPo Paris (CERI).
Vainqueur des législatives du 1er novembre, Benyamin Netanyahu a renoué jeudi 29 décembre avec le pouvoir en formant le gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël. D’où de vives inquiétudes.« L’élection de Benyamin Netanyahou, note le politiste Alain Dieckhoff, professeur à SciencesPo Paris (CERI) n’est pas une surprise au regard d’une opinion israélienne depuis des années très majoritairement orientée à droite. C’est plutôt, de juin 2021 à décembre 2022, les quelque dix-neuf mois au pouvoir de la coalition Bennett-Lapid qui en a constitué une tant celle-ci était improbable avec des partis de tout bord que rassemblait le seul rejet de Benyamin Netanyahou. »Pas plus donc que l’usure du pouvoir, les accusations de corruption, fraude et abus de confiance dans pas moins de trois affaires n’ont été préjudiciables à la réélection de Benyamin Netanyahou. Le président du Likoud, parti national-conservateur, inaugure ainsi son sixième gouvernement après avoir été Premier ministre de 1996 à 1999, puis de 2009 à 2021. « Hormis les élites intellectuelles, note le politiste, la population est finalement indifférente à ses déboires judiciaires. »
État de droitAffaires ou pas, « Bibi » entend bien s’attaquer à l’institution judiciaire. « Au nom du résultat des urnes, relève Alain Dieckhoff, ce gouvernement a réaffirmé sa volonté de limiter le pouvoir de la Cour suprême avec, pour conséquence, d’affaiblir l’État de droit. Cette volonté figure dans les accords de coalition rendus publics il y a peu. Ironie de l’histoire, cette transparence a été imposée par les juges il y a quelques années. Sous couvert de rééquilibrage des trois pouvoirs, il s’agirait de donner à la Knesset, le Parlement israélien, la possibilité de valider une loi qui aurait été invalidée par une décision de la Cour suprême qui s’est, de fait, depuis les années 1990, arrogé, un peu sur le modèle de la Cour suprême américaine, un pouvoir de contrôle de la constitutionnalité des lois qu’elle n’avait pas jusqu’alors. »
Benyamin Netanyahou est aussi attendu, et même redouté, sur le dossier des colonies. « Au regard de la composition du gouvernement et de l’attribution des portefeuilles, pointe le chercheur, on voit très clairement se profiler le renforcement de la politique de colonisation. Le ministre des Finances par rotation, Bezalel Smotrich, par ailleurs chef de la formation d’extrême droite Sionisme religieux, est aussi responsable des affaires civiles en Cisjordanie occupée au sein du ministère de la Défense. Le Likoud partage cet agenda nationaliste. Bien que laïc, ce même Likoud s’accorde avec les ultraorthodoxes sur les valeurs conservatrices. On peut ainsi s’attendre à un renforcement de l’identité juive de l’État. »
Refroidissement diplomatique« Il y a, insiste le politiste, des convergences fortes entre les cinq partis de la coalition. Sa cohérence idéologique est autrement plus importante que celle du gouvernement Bennett-Lapid, particulièrement hétéroclite avec huit partis. »Ce retour à une politique de colonisation conquérante ne manquera pas d’indisposer les pays voisins qui se sont rapprochés de l’État hébreu : « Les accords d’Abraham, signés durant l’été 2020 par Israël avec les Émirats arabes unis d’une part et Bahreïn d’autre part, s’inscrivent dans un processus amorcé par le traité de paix de 1979 avec l’Égypte et celui de 1994 avec la Jordanie. Ces accords ont manifesté le découplage entre la cause palestinienne et la normalisation des relations diplomatiques d’Israël avec les pays voisins. »
« Des violences en Cisjordanie comme dans la bande de Gaza, conclut Alain Dieckhoff, éclateront sporadiquement parce qu’à la question palestinienne, sur le fond toujours pas réglée, s’ajoutent les difficultés politiques et économiques. Mais jusque-là, la normalisation des relations diplomatiques a bien résisté à ces soubresauts. Le renforcement de la politique de colonisation pourrait toutefois avoir pour effet de refroidir le rapprochement avec les pays voisins, mais pas durablement. »
Jérôme Pilleyre
Lire. Alain Dieckhoff, Israël-Palestine : une guerre sans fin ?, Armand Colin, 2022.