"Je trouvais que j'avais fait mon temps... " : face à l'inflation, ces retraités contraints de retravailler
Face à l’inflation, nombre de retraités reprennent une activité pour compléter leur pension. Une situation encore minoritaire, mais qui pourrait se développer dans le cadre de la future réforme des retraites.
En mars 2022, près d'un an après avoir pris sa retraite, Véronique Arcène, 64 ans, s'est résignée à faire des ménages chez des particuliers, « 8 à 10 heures par semaine ». Sa retraite, cette ex-assistante de direction à Sciences Po Rennes ne l'avait pas vraiment envisagée ainsi. « Je me suis décidée à reprendre une activité professionnelle à temps partiel parce que je ne réussissais pas à me chauffer avec le montant de ma retraite. Le fioul a beaucoup augmenté l'année dernière, de l'ordre de 55 %. Pourtant, avec un peu moins de 1.500 euros nets, je ne suis pas la plus à plaindre. J'avais deux solutions : ne pas me chauffer ou aller travailler. »
Jamais de vacancesÀ la retraite depuis avril 2021, Véronique Arcène illustre la difficulté de certains seniors à faire face à la hausse du coût de la vie. « J'ai d'abord été contrainte en juin 2021 de quitter la périphérie rennaise pour m'installer 80 kilomètres plus loin, en Mayenne : le loyer était devenu trop cher. Le seul logement que j'ai trouvé à louer est doté d'une chaudière au fioul. Ça ne me plaisait pas, mais bon. Je ne savais pas que ça allait augmenter autant. Avec une facture d'eau qui a pris 100 %, mes charges sont rapidement devenues beaucoup plus importantes qu'en périphérie rennaise. Il faut ajouter à cela l'essence, car à la campagne, si vous n'avez pas de voiture, vous êtes mort. Mis bout à bout, je n'ai pas 1 euro d'économie. Pourtant, je ne pars jamais en vacances, je vis chichement. »
C'est déprimant qu'après avoir travaillé 45 ans - j'ai commencé à 17 ans - je sois dans l'obligation de travailler pour simplement pouvoir finir le mois sans être en découvert bancaire.
La sexagénaire a dû se résoudre à retravailler. « Je voulais faire du télétravail. Mais en zone rurale, on ne trouve rien. Du coup, je fais des ménages. Ce n'est pas gratifiant. Et ce n'était pas du tout mon projet de retravailler à la retraite. Je trouvais que j'avais fait mon temps. J'estime que j'ai droit à un peu de repos. »
Ce jeudi 19 juin, Véronique Arcène n'ira pas manifester contre la réforme des retraites. « Je travaille. Il me faudrait aller à Laval, Rennes ou Angers pour participer à une manifestation et cela fait beaucoup de kilomètres à parcourir. Mais j'ai signé la pétition de l'intersyndicale... » Après avoir beaucoup milité, l'ex-assistante de direction suit sans passion le débat actuel sur la réforme des retraites. « Je ne suis pas sûre que le gouvernement prenne les bonnes décisions... Mais il y a un moment où je baisse les bras, car c'est désespérant. Il y a des gens pour qui s'arrêter de travailler est un crève-cœur ; et tant mieux si ça leur convient. Et puis il y a toute une frange de la population qui a eu une activité très fatigante et qui en a marre, mais qui devra continuer à travailler après la retraite, comme moi. Ce n'est pas juste. »
J'espère encore vivre 20 ans. Mais 20 ans à galérer comme ça. Honnêtement, ça ne me donne pas envie.
Lien socialD'autres retraités continuent à travailler moins pour des raisons économiques que pour garder un lien social. Monitrice d'auto-école depuis 1979 à Saint-Flour (Cantal), Éliane Trousselier, 66 ans, avait pris sa retraite en 2020. Pourtant, l'Auvergnate n'a pas réussi à décrocher... « À ce jour encore, je travaille toujours dans la même entreprise à raison de deux jours par semaine. Toute la vie, on dit en plaisantant : "Vivement la retraite". Seulement quand on y arrive, c'est la fin de quelque chose : le lien social ! Entourée toute ma vie par les jeunes et les moins jeunes, je n'arrive toujours pas à m'imaginer d'arrêter. Cependant, il va bien falloir un jour y résigner », dit celle pour qui « le plus financier n'est pas négligeable, ce qui me permet de faire des cadeaux à mes enfants. Je fais beaucoup de vélo, des randonnées, de la piscine. J'ai le temps de tout faire. »
Véronique Arcène et Éliane Trousselier ne sont pas des exceptions. Parmi les 16,9 millions de retraités que comptait la France en 2020, ils étaient, selon l'Insee, 495.000 à cumuler un emploi avec leur pension (soit 31.000 de plus qu'en 2014). Ces effectifs pourraient encore augmenter avec la poussée de fièvre de l'inflation qui frappe le pays depuis 2021.
Deux fois plus de retraités qui travaillent qu'il y a dix ansEx-artisans, commerçants, ouvriers, employés, agents de maîtrise… C'est le profil des retraités inscrits sur la plateforme www.seniorsavotreservice.com, qui rapprochent offres d’emploi et candidats seniors. Des métiers de non-cadres avec de petites retraites, précise Valérie Gruau, la fondatrice. « Ces retraités qui travaillent sont de plus en plus nombreux. Il y en a près de 500.000 retraités, c'est deux fois plus qu'il y a dix ans. »
Travailler à la retraite pour payer l'Ehpad de ses parentsUn autre phénomène se renforce avec l'allongement de la durée de la vie : près de 15 % des retraités actifs travaillent pour pouvoir aider financièrement leurs propres parents très âgés. « Les personnes arrivant aujourd'hui en perte d'autonomie n'ont pas forcément anticipé leur fin de vie. Or, un Ehpad a un coût assez élevé. Ces personnes n'ont pas forcément une retraite permettant de la financer, donc ce sont leurs enfants qui paient, les obligeant à trouver un petit complément d'activité pour aider leurs propres parents. »
Mardi 10 décembre, lors de sa présentation de la réforme des retraites, Elisabeth Borne a indiqué vouloir « rendre le cumul emploi-retraite plus simple et créateur de droits nouveaux ». Les retraités qui reprennent une activité pourront « demander une revalorisation de leur pension » grâce à ces cotisations supplémentaires, a détaillé Olivier Dussopt, ministre du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion.
Nicolas Faucon