La réforme des retraites est globalement préjudiciable aux femmes
Interruptions de carrière, écarts de salaires, orientation vers des métiers moins payés : les pensions des femmes à la retraite sont très souvent inférieures à celles des hommes. En l’état, le report à 64 ans de l’âge de départ risque de les desservir un peu plus.
Le diable, dit-on, se cache dans les détails. Alors que la Première ministre Élisabeth Borne assure que la réforme de la retraite sera « plus juste pour les femmes », le diable a d’abord pris les traits de Franck Riester.
« Si vous reportez l’âge légal à 64 ans, évidemment elles sont un peu pénalisées », a reconnu, en début de semaine dernière, sur Public Sénat, le ministre des Relations avec le Parlement. Et d’expliquer : « Les trimestres par enfant ne jouent pas sur le report de l’âge, ils jouent sur la durée de cotisation. »
Le diable, ensuite, a pris les traits d’Olivier Dussopt qui, à l’issue du dernier Conseil des ministres, a concédé que le recul de l’âge légal de départ à la retraite impactait plus les femmes que les hommes : « Aujourd’hui, un certain nombre d’assurées femmes partent à la retraite de manière un peu anticipée, du fait du bénéfice des majorations de durée de cotisation au titre de la maternité. »
Miroir grossissant« Ces majorations, abonde Mathilde Guergoat-Larivière, professeure en sciences économiques à l’Université de Lille, permettent aujourd’hui aux mères de valider des trimestres supplémentaires, quatre par enfant, au titre de la maternité et, parce que ce sont souvent elles plutôt que les hommes qui s’arrêtent de travailler, quatre au titre de l’éducation.
Aujourd’hui, certaines femmes peuvent profiter pleinement de ces trimestres en les ajoutant à leur durée cotisée et partir à la retraite dès 62 ans. Si elles décident de travailler au-delà, cela leur permet d’avoir une surcote, mais après la réforme, elles devront attendre 64 ans et auront de ce fait déjà atteint leur nombre de trimestres demandés : leurs trimestres pour enfant ne leur serviront plus à rien. »
« La retraite, poursuit-elle, est un miroir grossissant des inégalités qui se creusent entre hommes et femmes tout au long de leur vie professionnelle. Des carrières plus fréquemment hachées, notamment en raison des naissances, des rémunérations plus faibles, des promotions plus rares, davantage de temps partiel, des périodes d’inactivité plus longues : au final, leurs pensions de retraite sont plus basses que celles des hommes. »
La pénibilité ? « Les indicateurs utilisés, pointe l’économiste, ont été créés en se focalisant sur les métiers masculins difficiles. La mesure de la pénibilité oublie ainsi largement des métiers plus féminisés tout aussi difficiles comme le nettoyage ou l’aide à la personne. Les métiers du care, par exemple, supposent un lourd investissement à la fois émotionnel et physique puisqu’il s’agit de porter à bout de bras, dans tous les sens du terme, des personnes dépendantes. »
Globalement, cependant, la réforme annoncée devrait, pour les femmes, s’avérer moins généreuse que sa publicité par l’exécutif. Le diable, les détails…
Mauvais exemples« L’âge d’annulation de la décote est inchangé, note Mathilde Guergoat-Larivière. Or, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à devoir travailler jusqu’à 67 ans en raison de carrières plus hachées. La revalorisation des petites retraites avec un revenu minimum à 1.200 euros bruts mensuels concernera, certes, plus les femmes que les hommes puisque leurs retraites sont plus basses. Reste que seuls 60 % des retraités, hommes et femmes confondus, ont eu une carrière complète.
Et la promesse d’une hausse de 100 euros liée la réforme n’est même pas validée par la propre étude d’impact du gouvernement. Cette hausse sera plus vraisemblablement de 38 euros pour les femmes et de 25 pour les hommes, moins nombreux à être concernés quoi qu’il en soit. »
« La prise en compte du congé parental dans les dispositifs des carrières longues et dans le calcul du minimum retraite va dans le bon sens, relève-t-elle encore. Mais 2.000 femmes tout au plus seront concernées. Les cas types utilisés dans sa communication par le gouvernement auraient gagné à être plus représentatifs… »« Avantageuse pour les femmes, conclut l’économiste, la réforme ne le sera qu’à la marge. Beaucoup y perdront. »
À preuve, l’étude d’impact du gouvernement estime qu’en moyenne, les femmes partiront à la retraite demain sept mois plus tard, contre cinq pour les hommes. Et l’écart s'accentue d’une génération à l’autre. Pour les femmes des années 80, ce sera huit mois plus tard contre quatre pour les hommes.
Jérôme Pilleyre
Inégalités hommes-femmes. D’après l’étude d’impact du gouvernement, les femmes verront, au fil des générations, leur retraite croître de 1 à 2,2 % contre de 0,2 à 0,9 % pour les hommes. Mais celles-ci partent de loin. Selon l’Insee, elles touchaient en 2019 une pension de 39 % inférieure à celle des hommes. Leur pension ne dépassait pas les 981 euros en moyenne contre 1.600 euros pour les hommes alors même qu’elles partent en général un an plus tard.