Climat : faut-il s’inquiéter du retour d’El Niño ?
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Nos étés et nos hivers vont-ils subir un coup de chaud supplémentaire en 2023 et 2024 ? La question agite le petit monde des climatologues. Des deux phénomènes climatiques majeurs qui influencent les températures à l’échelle du globe, La Niña est celui qui a tendance à refroidir la planète. Or il perd en puissance après trois années d’activité, a prévenu début mars l’Organisation météorologique mondiale (OMM), et devrait laisser la place à son équivalent "chaud", El Niño.
La date précise de son retour fait encore débat. Selon l’OMM, il existerait un peu plus d’une chance sur deux d’en voir les effets entre juin et août prochain. "Nous sommes dans une période où il est très difficile de prévoir son évolution. Il est possible qu’il revienne après l’été, mais je n’en mettrai pas ma main à couper pour l’instant", indique Jérôme Vialard, directeur de recherche à l’Institut de recherche et développement (IRD).
En dépit de ces imprécisions, la réapparition prochaine du phénomène ne fait aucun doute. "C’est un cycle naturel avec toujours la même saisonnalité : on passe de La Niña à El Niño, puis à La Niña, etc. Les conditions neutres entre les deux peuvent durer quelques mois", détaille Paloma Trascasa Castro, doctorante en sciences du climat (Centre de supercalcul de Barcelone et université de Leeds).
Le suivi réalisé par l’OMM, même incertain, a son importance pour les pays les plus sensibles à ces oscillations climatiques. Car El Niño, qui dure entre 9 et 12 mois et se caractérise par le réchauffement des eaux superficielles du Pacifique équatorial conjugué à des variations de l’atmosphère, charrie son lot de conséquences. En Australie, en Afrique australe et dans le Sud-Est asiatique, les sécheresses ont tendance à devenir plus importantes ; de fortes pluies peuvent au contraire s’abattre sur l’ouest des Etats-Unis, l’Afrique de l’Est et l’Amérique du Sud.
"La fréquence des El Niño intenses pourrait augmenter"
Et en Europe ? "Les effets s’avèrent beaucoup plus faibles", tempère le chercheur de l’IRD. D’autres phénomènes climatiques naturels rivalisent et atténuent largement son influence sous nos latitudes. "En cas d’El Niño très fort, nous avons tendance à observer des étés pourris, très pluvieux chez nous", avance avec précaution le climatologue. Les effets seraient, en revanche, plus visibles en hiver, au moment de son pic, entre décembre et février – d’où son nom, "l’enfant" en espagnol, une référence à Jésus, issue de l’expérience de pécheurs péruviens ayant observé l’apogée de ce phénomène à Noël. "On noterait dans le sud de l’Europe un hiver plus doux, avec davantage de précipitations, détaille Paloma Trascasa Castro. Surtout en Espagne, dans la région méditerranéenne et le sud de la France. Dans le nord de l’Europe, il ferait plus froid et sec. Mais les impacts peuvent beaucoup changer d’un El Niño à un autre."
Les spécialistes ne peuvent encore prévoir avec justesse son intensité. Mais l’OMM prévient déjà : "Il y a une probabilité accrue de voir l’année la plus chaude jamais enregistrée." Si, pour reprendre les mots de Jérôme Vialard, la Niña est considérée comme "un climatiseur planétaire", El Niño agit à l’inverse. "La température de la surface de la planète augmente ces années-là", confirme Eric Guilyardi, directeur de recherche au CNRS et spécialiste du phénomène. 2016 en était un bon exemple.
Problème : cet effet se superpose au réchauffement climatique. Ce dernier a d’ailleurs rendu bien moins visible l’effet "réfrigérant" de La Niña ces huit dernières années, qui restent parmi les plus chaudes jamais enregistrées. "La variabilité naturelle du climat ne "camoufle" plus vraiment le réchauffement climatique, car ce dernier est plus rapide qu’on ne le croyait", convient Paloma Trascasa Castro. La doctorante estime donc qu’il serait possible de dépasser "temporairement", en 2024, le fameux seuil des 1,5 °C par rapport à l’ère pré-industrielle. "Peu probable", juge de son côté Jérôme Vialard : "En 2020, une année dite neutre, nous étions à environ 1,2 °C, et l’effet d’un El Niño sur la température moyenne de la planète est de l’ordre de 0,1 à 0,2 °C." Mais cela n’empêche pas les objectifs définis dans l’Accord de Paris en 2015 d’être considérés comme hors d’atteinte par une partie de la communauté scientifique, compte tenu de la trajectoire de nos émissions de CO2.
A long terme, les climatologues s’interrogent également sur les possibles influences du réchauffement climatique sur le phénomène en lui-même. "La fréquence des El Niño intenses [NDLR : comme ceux de 1997-1998 ou 2015-2016] pourrait augmenter", énonce prudemment Eric Guilyardi. Mais des recherches doivent encore venir le confirmer.