Récit : l'affaire du notaire de Lubersac a marqué la Corrèze
Le 14 février dernier, l’ancien notaire de Lubersac Christophe Taurisson était condamné, en appel, à dix ans de prison, par la cour d’assises de Limoges. Soit deux ans de moins qu’en première instance lors du procès, à Tulle, en mai 2022. Coupable d’avoir détourné des successions à hauteur de près d’un million d’euros.
Retentissement médiatiqueL’affaire connaît un important retentissement médiatique de par le symbole même qu’elle revêt : un notaire est un officier public et ministériel qui reçoit, rédige et authentifie des actes. Dépositaires de l’autorité publique, ces professionnels sont au cœur de l’intimité des familles. Déposséder des personnes de leurs biens en usant de leur pouvoir relève de faits criminels. Retour sur une affaire hors norme pour la Corrèze qui a été révélée au grand public un matin d’avril 2017.
Ce jour-là, le 11 avril, des gendarmes sont postés dans la petite rue de l’Hôpital, qui mène de l’église au centre culturel de Lubersac. Plusieurs médias sont également présents. La veille, une information a fuité dans les rédactions corréziennes, soufflant aux journalistes qu’ils seraient bien inspirés d’aller faire un tour dès le lendemain matin dans la commune nord corrézienne d’un peu plus de 2.000 âmes. Pour y faire quoi ? Les journalistes ne le savent pas précisément, mais n’écoutant que la promesse d’une belle affaire, ils débarquent au matin dans le village. En patrouillant à faible allure, ils finissent par apercevoir du « bleu », signe que le « tuyau » était bon.
Ça doit être important s’il y a tant de gendarmes
Le panonceau de notaire apposé sur la façade d’une maison récente témoigne d’une action en cours dans l’office notarial. Le début d’une histoire peu banale. Une perquisition est menée par le GIR de Limoges (groupement d’intervention régional). « Ça doit être important s’il y a tant de gendarmes », commente à l’époque une riveraine en assistant aux allées et venues des forces de l’ordre. Dans le bar-restaurant voisin, Le Souham, la curiosité des clients est titillée. Devant l’étude des notaires, le passage s’intensifie. Une personne a rendez-vous, on lui signifie que cela ne sera pas possible.
Dans la rue de l'Hôpital, gendarmes et avocats font les 100 pas durant la perquisition
Une perquisition de plusieurs heuresUn avocat du barreau de Brive, Me Renaudie, fait lui aussi les cent pas en attendant de pouvoir assister son client. Les journalistes, eux, cherchent à savoir ce qu’il se passe. La perquisition dure une bonne partie de la journée. Dirigée par une juge d’instruction, elle se déroule en présence d’un représentant de la chambre interdépartementale des notaires et du notaire suspecté, Christophe Taurisson. Son nom est affiché sur la plaque avec deux autres associés dont l’enquête montrera qu’ils n’étaient en rien impliqués dans de potentiels détournements d’héritages.
Le procureur de la République de Limoges Gilbert Emery finit par sortir de la maison, improvisant une conférence de presse sur le trottoir pour confirmer que trois ans d’enquête ont abouti à cette perquisition.
« On est sur une falsification d’actes avec captations d’héritages », confirme-t-il.
Cette opération d’envergure n’est pas la seule ce jour-là. Neuf personnes sont interpellées dans le cadre d’une action coordonnée, dont un entrepreneur de 48 ans, chauffeur de taxi. Son train de vie interroge dans la commune. Au terme de sa garde à vue, le 13 avril, le notaire est mis en examen pour faux et usage de faux en écritures publiques. Il passe sa première nuit en prison. Il est placé en détention provisoire jusqu’au 14 janvier 2018, date à laquelle il est assigné à résidence sous surveillance électronique jusqu’au 10 juillet 2019. Son complice taxi, Franck Point, est mis en examen pour complicité et également placé en détention provisoire.Le procureur improvise une conférence de presse.
L'enquête débute en 2014L’enquête, longue et ardue, peut se poursuivre. Les investigations ont débuté en 2014 lorsqu’une cousine d’un couple décédé est surprise de voir Frank Point désigné comme unique bénéficiaire de leur patrimoine, alors que le couple avait toujours voulu léguer ses biens à la caisse des écoles de la commune et à la Ligue nationale contre le cancer. En 2015, le maire de Chabrignac s’étonne aussi que Franck Point soit bénéficiaire d’un autre testament alors qu’il n’avait pas de lien de parenté avec la défunte. Face à ce faisceau d’éléments concordants, l’enquête préliminaire bascule au printemps 2015 sur l’ouverture d’une information judiciaire confiée au pôle criminel de Limoges. Le dossier sera officiellement clos en mai 2021, au terme de méticuleuses investigations, et le notaire et ses deux complices, l’artisan taxi et une énergique retraitée, Camille Royer, renvoyés devant la cour d’assises de la Corrèze.
Le procès-fleuve, initialement audiencé sur quinze jours, a lieu un an plus tard à Tulle, du 2 au 13 mai 2022. Trois figures très disparates et autant de positionnements par rapport aux faits reprochés apparaissent lors des débats.
Un notable de provinceL’ex-notaire de Lubersac, arc-bouté sur ses dénégations, agace la cour. Son ton est souvent péremptoire et cet homme à la tenue chic de notable de province élude les questions de la présidente par de courtes périphrases ou des silences assumés.
Son complice et ami d’alors, Franck Point, fait profil bas. Au sens propre comme au figuré. Si le notaire, têtu, refuse d’assumer toute responsabilité quant aux charges qui pèsent contre lui, l’artisan taxi assume gravement sa complicité pour la falsification de plusieurs testaments.
Enfin, dernière figure de ce « triumvirat », comme l’a qualifié l’avocat général, Camille Royer, 93 ans, vitupère contre les charges de complicité. Pour l’énergique accusée à l’âge canonique, personnage haut en couleur « entre Tatie Danielle et Ma Dalton », comme l’avait qualifiée un avocat de la partie civile, pas question d’assumer avoir participé à des falsifications de documents.
Trois condamnationsLes trois sont logiquement condamnés, au vu des charges accablantes qui pèsent sur eux. Tout aussi logiquement, dans le droit fil du positionnement inflexible qui fut le sien durant tout le procès, l’ex-notaire fait appel de sa condamnation à douze ans de réclusion criminelle.L'affaire du notaire jugé en première instance à Tulle
Pour Franck Point, qui écope de sept ans d’emprisonnement, et Camille Royer, deux ans de prison avec sursis, le verdict est définitif. Les deux complices n’iront pas devant la cour d’appel de Limoges. C’est cette fois-ci seul que Christophe Taurisson comparaît du 6 février au 14 février dernier.
Et un « miracle inattendu », selon les mots de l’avocate d’une des victimes, arrive enfin : l’ancien officier public et ministériel avoue enfin sa culpabilité. « Je suis là pour reconnaître toutes les fautes que j’ai commises. » Des aveux qui lui ont finalement valu un geste de clémence de la cour d’assises d’appel, avec une peine réduite de deux ans : dix ans de réclusion criminelle.
Une page se refermeAvec cette ultime condamnation à Limoges de Christophe Taurisson, Lubersac, la taiseuse, referme une page de son histoire qu’elle n’aime guère réveiller. Le Souham est fermé pour l’hiver et son gérant assure que cette affaire, « aujourd’hui, tout le monde s’en fout ! »
En ce jeudi après-midi de fin février, La rue de l’Hôpital est déserte. Il pleut. Le cabinet notarial ne respire pas l’activité. Tous les volets sont fermés. Un jeune homme, habitant de la rue, explique ne pas y voir grand-monde.
« Qu’est-ce qu’on va penser de Lubersac ? »Henri Palisse, Lubersacois, enseignant retraité, se souvient bien de l’état d’esprit de la commune à l’époque. « Vous savez, les Lubersacois, quand un évènement met en cause leur commune, ils sont plutôt silencieux. Le maire d’alors, Jean-Pierre Decaie, se préoccupait de la réputation que la commune allait avoir », se remémore-t-il.
L’affaire a alimenté les conversations. « Sur le taxi, les langues se sont un peu déliées… » L’artisan menait grand train et cela ne passait pas inaperçu. « C’est vrai qu’on en parlait entre nous.
Des amis avaient des affaires dans l’étude du notaire, ils étaient un peu paniqués.
Les deux autres associés ont vite été rassurants. Mais on n’en parlait pas avec des étrangers. » Henri Palisse, ancien correspondant de La Montagne, se souvient avoir été contacté par TF1 : la chaîne avait insisté » pour avoir des éléments. Il avait décliné.
Les dernières parutions dans la presse, liées au procès d’appel, ont réveillé le sujet à Lubersac le mois dernier. « Mais de manière plus apaisée, assure Henri Palisse. Il n’y a plus d’inquiétude ni de passion. C’est devenu un fait divers, au même titre que les autres ».
Laetitia Soulier et Julien Bachellerie