D'ingénieur à la scène, comment l'humoriste Karim Duval moque sa génération "Y"
L’humoriste Karim Duval sera à la Halle aux grains de Brioude (Haute-Loire) le 31 mars. Son spectacle, Y, est tiré de son expérience personnelle d’ancien ingénieur reconverti.
Les gens nés entre 1980 et 95, la génération Y, sont réduits à une seule lettre. Comment cela vous a-t-il inspiré ?Au début, on simplifie. Au fur et à mesure du spectacle, on se rend compte qu’il s’agit d’un état d’esprit. De justesse, j’appartiens à cette génération. J’ai eu le temps de regarder mon parcours. Je ne l’assumais pas vraiment. J’ai commencé à m’intéresser aux gens qui essayent de donner du sens à l’entreprenariat. Je me suis retrouvé dans les coworkings à observer des reconversions professionnelles, un esprit de liberté. De manière assez marquée on attribue ces thèmes à la génération Y.
Comment avez-vous utilisé votre propre expérience ?Dans mes vidéos, mes personnages sont toujours un peu le même. Ce mec lisse, le gendre idéal qui dit des horreurs sous couvert d’avoir fait des études. Cela a été un peu moi. J’étais bon élève avec un parcours sans faute mais pas vraiment scientifique. Je me suis retrouvé au boulot, à devoir m’en sortir en faisant des concessions et en jouant sur le langage.
Vous vous intéressez à ces nouvelles formes de langage d’entreprise. Pourquoi mettre l’accent sur ces mots creux ?Ils me sont familiers. Je les ai maîtrisés et utilisés à travers différentes expériences professionnelles. Des nouveaux postes se créent avec leur lot de jargon incompréhensible et flou. Dans l’inconscient collectif, c’est le langage des cadres. Ceux qui ont réussi. Cela incarne un peu le bien. L’innovation, la technologie, la science. Je trouvais intéressant de me moquer de ce qui est prétendument bien. C’est le rôle d’un humoriste de remettre en cause ce genre d’évidence.
Pourquoi avoir omis ces expériences d’entreprise à vos débuts d’humoriste ?Ingénieur, sur le papier, ce n’est pas très sexy. Ce n’est pas le premier qu’on appelle pour faire rire. C’est quelqu’un qui a fait des maths.
Comme tous mes copains, pour se faire une place, on voulait montrer la meilleure version de nous-mêmes. J’en faisais des caisses mais je n’étais pas moi.
On se cache derrière des personnages haut en couleur avec des accents, des lumières, des perruques. On met du temps à se dire d’assumer et de juste raconter la vérité Petit à petit, j’ai assumé. C’est un miroir déformant pour les gens. On se rend compte qu’on fait du bien, juste en grossissant ce qu’ils vivent au quotidien.
Que reste-t-il de l’ingénieur informatique ?C’est qu’il n’y avait pas grand-chose au départ ! J’ai gardé mon côté bon élève, structuré, travailleur. Mes textes sont très ciselés. Être précis reste une névrose d’ingénieur.
Vous soulevez les contradictions de votre génération. Quelles sont-elles ?On se dit “je vais sauver la planète” face aux questions écologiques et en même temps on surconsomme les écrans, on veut voyager. On est très impatient et très friand de technologie. Il y a aussi cette contradiction de la vitesse. On veut que tout aille vite. On zappe, scrolle. À côté se développe un engouement pour le développement personnel.On veut aussi donner du sens à ce qu’on fait au travail. À côté, certains vont s’employer pour des multinationales qui ne font pas forcément de belles choses. Ce n’est pas le cas de tout le monde mais ce sont des caricatures de la génération Y. Celle qui n’a pas confiance en l’avenir, mais avec une grosse confiance en soi.
Comment a évolué le spectacle depuis 2018 ?J’ai la chance d’avoir fait 400 dates avec ce spectacle. En faisant des trouvailles par-ci par-là, on fait beaucoup évoluer l’écriture. Il y a des moments improvisés. J’interroge les gens sur leur métier et parfois, je tombe sur des anecdotes. Je discute aussi beaucoup avec le public après la représentation. J’aime bien avoir leur ressenti. Je nourris mon spectacle de choses réelles.
Vous laissez de la place à ces interactions avec le public. Que recherchez-vous ?Je crée un moment unique avec le public. J’aime bien me dire que les gens sont venus me voir et que c’est leur soirée. Cela me met aussi en danger. Cette mise en danger est inhérente à la génération Y justement.
(Photo : Alan Raymond)Quand j’improvise, je ne sais pas où je vais. J’ai deux ou trois ficelles auxquelles me rattacher mais globalement je ne sais pas ce que va me raconter la personne. Je suis obligé d’être très à l’écoute, de poser des questions ouvertes, de la cuisiner à fond pour qu’elle donne des choses intéressantes et marrantes.
Je ne ridiculise personne, mais on les voit galérer. Cela met les gens au même niveau et ça fait du bien. Il y a un côté résonance universelle. Par exemple, beaucoup n’arrivent pas à expliquer leur travail avec des mots simples. Moi j’aime bien les faire pédaler dans la semoule.
Votre public reste urbain et familier des start-up. Comment vous adaptez-vous ?J’attire ce public mais je n’ai pas écrit ce spectacle pour lui. J’ai énormément travaillé, vulgarisé et essayé de rendre mon propos universel. J’ai joué mon spectacle partout en France. Il y a des gens qui ont eu cette vie et qui vivent à Brioude. Et puis il y a des thèmes communs : le développement personnel, l’évolution de la mentalité des enfants. Des personnes plus âgées sont déjà venues me voir pour me dire merci. Elles ont mieux compris leurs enfants urbanisés, qui changent de contrat de travail tous les six mois et expérimentent des trucs.
Vous avez choisi le stand up pour sa sobriété. Ne serait-ce pas aussi dans l’air du temps ?Le style direct est en opposition avec mon premier spectacle. Il était beaucoup dans les personnages, des choses un peu surfaites et démodées. Dans le stand up, il y a quelque chose de sincère et de minimaliste. Cela réduit le chemin entre ce qu’on veut dire et la manière dont on le dit. C’est une forme de sobriété. D’autres humoristes sont de plus en plus minimalistes. Blanche Gardin, Aroun, Paul Mirabel ne bougent pas. On va revenir à un stade où on ne cligne même plus des yeux [rires].
Je ne veux pas me conformer à une mode mais l’avantage c’est qu’on ne fait pas de cadeau. Tout est dans le texte.
Pas dans la mimique qui rend la blague meilleure qu’elle ne l’est vraiment.
Vous êtes présent sur YouTube et LinkedIn. Est-ce complémentaire à la scène ?Beaucoup de gens pensent que je suis youtuber avant d’être humoriste de scène. Mon métier reste avant tout la scène. Il en a découlé une présence sur ma petite chaîne YouTube. Cela inspire et donne envie. On ne peut pas changer de spectacle tous les six mois. Par contre, on peut faire des vidéos tous les jours ou toutes les semaines. C’est une façon de dissiper la créativité. Je constitue une communauté. J’aime bien échanger avec les gens qui m’écrivent après les spectacles. Cela ouvre des portes à des collaborations ou des beaux projets d’écriture. Internet c’est chouette mais ça reste un plus.
Quel sera le thème de votre prochain spectacle ?Je resterai dans la continuité de ce que je fais là sur les questions d’innovation, des nouvelles technologies et du manque de temps. Peut-être plus grand public. J’ai toujours cette envie de moquer le fait de vouloir être le bon élève, d’incarner le bien en incarnant le plus, le fait d’être toujours au top alors que le monde va mal. Il restera du stand up avec je l’espère du fond et qui touchera tout le monde. J’y travaille. En ce moment, je lis des textes du nouveau spectacle pour voir la portée de telle ou telle thématique. Je le ferai à Brioude, c’est sûr.
Billetterie. Spectacle vendredi 31 mars à 21 heures à la Halle aux grains.Tarifs : 25 €, 21 € réduit, 10 € 19-25 ans, 7 € 10-18 ans, gratuit moins de 10 ans. Achat sur place ou les mercredis et vendredis, de 14 heures à 16 h 30 à la Halle aux grains ou sur brioude.fr.
Lucile Bihannic