Etats-Unis : Harlan Crow, ce (très) généreux milliardaire qui embarrasse la Cour suprême
L’affaire fait vaciller la Cour suprême américaine. Clarence Thomas, l’un des neuf juges de l’institution, aurait profité de très coûteux dons en nature ces vingt dernières années. Selon le collectif de journalistes ProPublica, Clarence Thomas, connu pour ses prises de position conservatrices, aurait omis de déclarer de nombreux voyages et cadeaux dont il a pu bénéficier, en contradiction avec la loi américaine qui oblige juges et fonctionnaires à divulguer les avantages obtenus. Il est notamment question de croisières sur un méga yacht, des vols en jet privé, du financement des études d’un petit-neveu dans un pensionnat huppé, ou bien de l’achat et la rénovation de la maison occupée par la mère du juge.
Toutes ces donations proviennent d’un même homme : le discret milliardaire texan Harlan Crow. Sa société, Crow Holdings, gère pour 29 milliards de dollars d’actifs, et sa fortune personnelle tutoie les deux milliards de dollars. "Harlan Crow fait partie de mes meilleurs amis. Comme les amis le font, nous les avons accompagnés lors d’un certain nombre de voyages", a justifié Clarence Thomas dans un communiqué.
Généreux donateur
Harlan Crow est un Texan pur jus, né à Dallas en 1949 dans une famille privilégiée. Son père, Trammell Crow, est un célèbre promoteur immobilier et fondateur de l’entreprise Crow Holdings. En 1971, Forbes le qualifie de plus grand propriétaire immobilier des Etats-Unis, avec des intérêts dans près de 28 millions de mètres carrés de bureaux, logements et centres commerciaux. Le magazine américain analyse d’ailleurs la stratégie particulière de l’homme d’affaires, faite d’accumulation de capitaux plutôt que de prise de profit immédiat : "La stratégie immobilière conventionnelle consiste à emprunter, construire, morceler et vendre. […] Mais c’est en gardant tout ce qu’il a construit que Crow est devenu à 56 ans le plus grand propriétaire privé des Etats-Unis."
A la mort de son père, Harlan Crow hérite de l’entreprise familiale, dont il diversifiera encore les activités dans la gestion immobilière. Comme Trammell, qui avait soutenu activement la candidature de Ronald Reagan en 1984, il est un fervent républicain. Avec les années, il va même devenir l’un des principaux financeurs du parti. Toujours selon ProPublica, il aurait distribué plus de 10 millions de dollars à divers groupes conservateurs. Le collectif de journalistes précise que cette somme pourrait être bien plus élevée, car certains organismes gardent leurs financeurs secrets. Sur le plan local, il a également effectué un don de 175 000 dollars au parti républicain texan en 2021.
Son "jardin du mal"
Harlan Crow utilise également son immense patrimoine pour financer des organes de lobbying, comme le "Club for Growth", qu’il a co-fondé en 1999, un groupe d’intérêt qui lutte pour la réduction des impôts aux Etats-Unis. Il a aussi donné de l’argent au parti politique de centre droit "No Labels", et même au sénateur démocrate Joe Manchin, connu pour ses prises de position favorables à la baisse des taxes.
Le milliardaire est un homme relativement secret, peu enclin à s’épancher dans la presse. Il vit dans une énorme résidence à Dallas achetée pour 55 millions de dollars, selon le site Business Insider. En 2003, une journaliste du New York Times réussissait à se faire inviter chez le milliardaire : elle y découvre ce que Harlan Crow qualifie de "jardin du mal", à savoir une collection de statues représentant les plus grands dictateurs du vingtième siècle. On y trouve notamment des bustes de Nicolae Ceausescu, Tito, Hosni Moubarak, Lénine et Staline. "Ces statues peuvent être utilisées comme un outil pour rappeler aux nouvelles générations l’échec des méchants et le triomphe des gentils", avait-il déclaré à l’époque.