"On n’aurait pas dû les tuer" : un résistant brise l'omerta sur l'exécution de 47 soldats allemands en juin 1944 en Corrèze
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Nul ne savait ce qu’étaient devenus des soldats allemands capturés le 8 juin 1944 à Tulle, après l’attaque de l’école normale des filles. 79 ans après les faits, Edmond Réveil, ancien résistant, lève enfin le voile. Quand il avait 18 ans, il a assisté à leur exécution. Son témoignage auprès des autorités va conduire à la localisation des corps et leur exhumation. Nous l’avons rencontré, chez lui, à Meymac.
C’est une affaire sensible qui risque de heurter le discours mémoriel, en Corrèze, 78 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dans la petite commune de Meymac, un bosquet va dans les prochaines semaines, faire l’objet d’intenses recherches pour tenter de retrouver les corps d’une quarantaine de soldats allemands. Une opération menée et financée par le VDK, un organisme d’outre-Rhin qui gère les sépultures de soldats allemands tombés durant les deux conflits mondiaux en France, avec l’accord des autorités françaises.
Ces soldats de la Wehrmacht ont été exécutés par la Résistance en juin 1944, quelques jours après le massacre de Tulle. Cette opération d’exhumation est directement liée au témoignage d’un ancien membre des FTP (Francs tireurs partisans). Aujourd’hui âgé de 98 ans, Edmond Réveil, dernier survivant de cette époque à Meymac, a décidé de briser l’omerta.
La chaleur et l’odeur du sang encore en mémoire"Ces prisonniers ont été tués le 12 juin. Il faisait une chaleur… Ça sentait le sang", se souvient avec précision cet ancien résistant. Ce jour-là, celui qui n’était âgé que de 19 ans a assisté à la mise à mort de soldats allemands. : 47 hommes au total ainsi qu’une femme proche de la Gestapo. Exécutés un à un, ils ont été abandonnés dans une fosse commune que les victimes avaient elles-mêmes creusée. "La femme collabo a été amenée par un autre groupe de résistants. On ne connaissait pas son identité. Mais personne ne voulait la tuer, il a fallu tirer au sort celui devrait l’exécuter. Pour les autres prisonniers c’était les volontaires. La femme a été tuée en 13e position", se souvient l’ancien FTP.
L’histoire de ces 48 exécutions s’inscrit dans la continuité de l’attaque de Tulle. Les 7 et 8 juin 1944, quelques jours après le débarquement des forces alliés en Normandie, les maquisards FTP décident d’attaquer la ville préfecture. Les combats se concentrent autour de l’école normale de filles.
"Ce n’était pas facile, on a utilisé des balles traçantes et le feu s’est déclaré", se souvient Edmond Réveil. Des soldats allemands en sortent et sont faits prisonniers par la Résistance. Ils sont alors 55, puis 54 quand un homme de la Gestapo tente de prendre la fuite, avant d’être fusillé.
Les prisonniers ont été conduits à Meymac, au Vert, mais le lieu de la fosse commune n'est pas connu. Stéphanie Para
L’ordre d’exécuter les prisonniers venu d’en hautLes prisonniers et une trentaine de résistants vont alors marcher à travers les bois, sur près de soixante-dix kilomètres, de fermes en fermes pour se ravitailler. "Personne n’en voulait. On ne savait pas quoi en faire. Les gars d’Allassac ne pouvaient pas s’en occuper. Ils ont confié les prisonniers au groupe de Treignac. Mais une fois arrivés au Lonzac, ceux de Treignac ont dit qu’ils ne pouvaient pas, eux non plus, les garder », témoigne l’ancien agent de liaison. Le groupe est scindé en deux. Quelques prisonniers tchèques et polonais auraient été confiés à l’unité de la MOI (main-d’œuvre immigrée), des hommes aguerris, qui pour beaucoup ont combattu en Espagne.
Au total, 48 prisonniers sont acheminés jusqu’à Meymac, en Haute Corrèze, et sont cachés dans une étable, au hameau du Vert. Les contraintes liées à la garde des prisonniers, ainsi que le contexte national et local vont alors rapidement peser sur les décisions des résistants. "Nous étions supervisés par un groupement interallié basé à Saint-Fréjoux (Corrèze). À Caen, les Allemands avaient exécuté les prisonniers français. Localement, pour aller faire pisser un prisonnier, il fallait qu’il soit encadré par deux d’entre nous. On n’avait pas prévu le ravitaillement, toute l’intendance. Il fallait les nourrir, les garder. C’est à ce moment-là, qu’on nous a donné l’ordre*. »
Cet ordre, donné juste après les massacres de Tulle, le 9 juin, d’Ussel et d’Oradour le 10 juin, Hannibal, chef de section, est chargé de le faire exécuter. "Quand il a compris qu’il devait les tuer, il a pleuré comme un gamin. Il était Alsacien, donc il parlait Allemand. Il leur a parlé un par un. Mais il y avait une discipline dans la Résistance. Il a demandé aux gars lesquels se portaient volontaires pour exécuter les ordres. Chaque maquisard avait son bonhomme à tuer. Il y en a, parmi les gars, qui n’ont pas voulu, dont moi. Ils ont été tués, on a versé de la chaux sur eux et on en n’a plus jamais reparlé. Ce n’est pas marrant, vous savez, de fusiller quelqu’un… »
Une omerta longue de plusieurs décenniesDébute alors une omerta de plusieurs décennies, que seules quelques lignes dans plusieurs livres consacrés aux événements de Tulle, aborderont brièvement. Quand en 1967, sous l’impulsion du VDK, une première exhumation a lieu à Meymac, elle se déroule en catimini. La presse de l’époque n’en parle pas. La commune de Meymac n’en a conservé aucune mention, aucune délibération. "Sur les registres municipaux, il n’y a aucune trace de la première exhumation. Le sujet localement est brûlant, mais le temps, malgré tout, a fait son effet. Aujourd’hui, il y a plus de distance qu’en 1967", note le maire de Meymac, Philippe Brugère.
"On a commis une faute"Est-ce cette même œuvre du temps qui a permis à Edmond Réveil de rompre ce silence?? Lors d’une assemblée générale de l’Anacr à Meymac, en mars 2019, celui qui avait pour nom de code "Papillon" avait demandé, au terme de la réunion, de sanctuariser le lieu, où se trouvent ces deux fosses. La déflagration est énorme. L’affaire remonte jusqu’au consul allemand. "Après la guerre, on avait reçu l’interdiction d’en parler. On a commis une faute d’avoir tué des prisonniers. Tuer des prisonniers de guerre, c’est aller contre la convention de Genève. Mais on n’en parlait pas. Les autres sections ne le savaient pas. C’est une mauvaise action", concède cet homme de 98 ans.
Mais Edmond Réveil, s’il n’a pas souhaité raviver les haines, les rancœurs et les cicatrices parfois non refermées de la guerre, avait un souhait : faire en sorte que les descendants de ces Allemands et de cette Française puissent connaître cette histoire.
(*) Selon l’Onac, des doutes demeurent sur la provenance de l’ordre d’exécution des soldats allemands.
Pierre Vignaud et Franck Lagier