Eric-Emmanuel Schmitt publie "Le Défi de Jérusalem" : le récit de son voyage en Terre sainte
Après La Nuit de feu où Eric-Emmanuel Schmitt relatait une expérience mystique vécue dans le désert du Hoggar, l'écrivain, aux oeuvres traduites dans 48 pays, fait le récit du voyage qu'il a effectué en Terre sainte, à l'invitation du Vatican. Ce récit est d'ailleurs suivi d'une post-face du Pape François.
Pour réaliser ce voyage, Eric-Emmanuel Schmitt a accepté de s'interrompre dans l'écriture de son projet fou : relater l'histoire de l'humanité en huit volumes, dont trois sont déjà parus (voir ci-dessous).
Quelle a été votre réaction quand vous avez reçu cet appel du Vatican vous invitant à effectuer ce voyage ?
Une disponibilité immédiate. J'ai eu le sentiment d'un rendez-vous. Je comprenais pourquoi je n'avais pu faire d'autres voyages envisagés auparavant. Ce devait être celui-ci. J'ai senti que les choses s'alignaient de façon juste.
Toutefois, j'ai tout de suite précisé que je ne m'engageais pas à écrire un livre. Tout dépendrait de ce que j'allais ressentir pendant ce voyage.
J'ai refusé toute commande. J'ai simplement saisi l'occasion.
Pourtant vous étiez en pleine écriture de votre histoire romanesque de l'Humanité, qui vous occupe 12 heures par jour.
J'étais justement en train d'écrire le moment où Moïse quitte Memphis pour aller sur la Terre promise. J'y ai vu une concordance incroyable. Mon personnage portait cette aspiration et, tout à coup, on m'appelle pour m'inviter au même départ !
Pourquoi le Vatican s'est-il adressé à vous ?
J'ai la chance d'être beaucoup lu en Italie. Je savais que dans l'entourage du Pape, on adorait mon livre L'Evangile selon Pilate. Oscar et la dame en Rose est aussi devenu un livre culte en Italie. Quand le représentant du Vatican m'a dit "on aime votre foi et votre esprit de liberté", pour moi tout était dit.
Je suis l'un des rares écrivains qui ose parler de la vie spirituelle de façon intime. En même temps, je suis totalement libre. Dès lors que le Vatican sollicitait cette liberté et non une quelconque obéissance, un quelconque embrigadement, je me sentais totalement accueilli, respecté.
Trouvez-vous qu'il est important de parler de religion, des religions, par ces temps d'obscurantisme renforcé ?
L'expression "temps d'obscurantisme" me plaît. Par le passé, l'obscurantisme était dû aux superstitions. Aujourd'hui, il est dû au matérialisme.
Dans le passé, les religions se prenaient toutes pour la vérité et se faisaient la guerre. Elles étaient fratricides au lieu d'être fraternelles.
Aujourd'hui, l'obscurantisme tient au règne de l'intérêt, du confort matériel, de la réussite matérielle, de l'exploitation des autres pour gagner toujours plus d'argent. Ce règne du matérialisme existe sans quasiment aucun garde-fou.Alors, je pense qu'il est très important d'aller au coeur des sagesses humaines.
Ces sagesses peuvent être philosophiques. Elles peuvent être aussi religieuses car, au coeur de toute religion, se trouve la volonté de lutter contre l'égoïsme, l'intérêt, de développer le respect, de développer l'amour. Toutes les religions sont humanisantes en ce sens qu'elles visent à produire un homme meilleur.
Je ne supporte pas le regard méprisant sur les religions, d'entendre dire qu'il faut toutes les supprimer. C'est pour moi une sottise totale. C'est aux religions d'être à la fois humbles et utiles.
Pourquoi "défi" dans votre titre ?
Pour moi, Jérusalem est à la fois un lieu vertical et horizontal. Dans ce lieu vertical, pendant des siècles, Dieu a dit : "entendez-moi". C'est le lieu où s'est forgé le premier monothéisme, le judaïsme. S'y est ensuite forgée cette branche du judaïsme qu'est le christianisme. C'est aussi l'un des lieux de fondation de l'Islam puisque c'est là qu'Abraham aurait sacrifié Ismaël sur le rocher maintenant conservé par la mosquée. C'est un lieu où Dieu a parlé, un lieu où se sont fondés les trois monothéismes.
Au plan horizontal, il me semble qu'aujourd'hui ce même Dieu ne dit plus la même chose à Jérusalem. Il ne dit plus "entendez-moi". Il dit : "entendez-vous". "Ne soyez pas fratricides, soyez fraternels". Qu'est-ce qu'être fratricide ? C'est être dans l'oubli du père, dans l'oubli de l'origine. Or Jérusalem rend impossible l'oubli de l'origine car les trois monothéismes s'y retrouvent.
Jérusalem est un lieu qui est un appel à la fraternité et non pas au fratricide. Voilà où se trouve "le défi" de Jérusalem.
Serons-nous un jour capable de le relever, d'être fraternels et non fratricides ? C'est le magnifique défi de Jérusalem. C'est le lieu sur terre qui crie cela.
Vous êtes revenu transformé de ce voyage. Vous y avez vécu une deuxième révélation. Quelle différence avec la première dans le désert du Hoggar objet de votre livre La Nuit de feu ?
La Nuit de feu, vécue dans le désert, était une expérience spirituelle et non religieuse. Elle m'a relié à Dieu, à l'Absolu, à la Totalité. Elle ne m'a pas amené à une religion, même si elle m'a permis d'entrer dans toutes les religions par la porte du mysticisme. Dans toutes, je me suis reconnu des frères et des soeurs, pourtant dans des spiritualités très différentes de la planète, à des époques très différentes. La seconde expérience racontée dans Le Défi de Jérusalem correspond au cheminement d'un chrétien.
Il s'est fait en deux temps. Le premier est passé par la lecture des Quatre Evangiles. Cette lecture a été foudroyante car elle met en avant l'amour, comme je ne l'avais jamais vu. Cela a provoqué le désir d'en savoir plus. J'ai donc beaucoup travaillé à cela, d'ailleurs en tant que philosophe aussi, lisant autant les textes pro chrétiens que les textes anti-chrétiens. Tout cela m'a amené à me sentir spirituellement chrétien.
Le voyage à Jérusalem est un aboutissement suite à ce chemin. Le mystère du christianisme sur lequel je méditais, je l'ai tout à coup expérimenté, ressenti dans ma chair. Ce que ma raison ne pouvait expliquer, mon corps l'a perçu. C'est la grande expérience que j'ai vécue au Saint-Sépulcre, presque par surprise, au moment j'étais le plus sceptique et voltairien.
Vous posez sur la situation en Palestine un regard d'homme de lettres mais aussi d'homme plein de bon sens. Vous dites cette situation n'est pas un drame, où il y a toujours un bon et un méchant, mais une tragédie.
Cette tragédie de la Palestine tient à une double légétimité. Sur cette terre, se trouvent deux peuples légitimes à être là.
Chacun a été malmené par l'Histoire. Le premier peuple légitime est celui qui a été chassé deux fois. C'est le peuple juif. Il a été chassé à Babylone en 596 avant Jésus Christ puis en 70 après Jésus Christ. A chaque fois, son temple a été détruit et sa population a été dispersée. Après l'horreur de la Shoah, dans l'émotion de l'après-guerre, ce peuple a enfin trouvé les appuis internationaux pour que soit fondé un Etat juif, une Nation juive.
Dans le même temps, une autre population est légitime, celle qui est restée. Elle est là depuis 2.000 ans. Elle a d'ailleurs subi maintes invasions, par le monde arabe, le monde ottoman, etc. Cette population est sur cette terre tout aussi légitimement.
Or elles vivent plutôt sous le mode de la discorde que sous celui de la concorde. Israël juive a été défait dans la violence et refait dans la violence de la Shoah. Comment n'y aura-t-il pas d'écho de cette violence dans la présence actuelle ?
Comme toute personne qui se rend là-bas, je me suis trouvé en face de ce mur de Béthléem, ce mur de la honte. C'est insupportable. Il montre l'échec des hommes à s'entendre.
Et puis, il y a dans tout Jérusalem, quotidiennement, ces regards haineux ou ces regards d'indifférence entre ces deux peuples. L'indifférence est aussi une violence. Tout cela est insupportable.
Depuis quelques années, vous oeuvrez à une l'Histoire de l'humanité en 8 romans. Pour cela, vous écrivez 12 heures par jour, de 8 heures du matin à 20 heures, tous les jours, pour mener à bien votre "Traversée des Temps". Ne craigniez-vous pas l'épuisement ? Le surmenage ?
Non, c'est ma nature. J'ai toujours été suractif. Depuis toujours j'entends autour de moi : comment fais-tu ? Du moment que j'ai dormi comme un bébé, à savoir 8 heures, je suis concentré du matin au soir sans fatigue. En revanche, on m'enlève une seule heure de sommeil, cela ne va plus.
Ma force, c'est aussi que je fais les choses avec joie
Je vais aussi chercher ma force dans les projets eux-mêmes. Par exemple, vous devez vous occuper d'enfants à la maison. Vous vous dites : je n'y arriverai jamais. Et puis, vous allez chercher la force dans les enfants eux-mêmes. C'est la même chose dans les objets artistiques. Ils ont une force et on va s'y replonger pour retrouver de la force. Je me replonge dans l'éblouissement de départ et, là, on retrouve de la force.
Après la préhistoire dans "Paradis Perdus", Babel dans "La Porte du Ciel", l'Egypte Antique dans "Soleil Sombre", où se déroulera le quatrième volume de votre "Traversée des Temps" ?
Athène en Grèce, au Vème siècle avant Jésus Christ.
Une période qui ira comme un gant au philosophe que vous êtes.
Absolument.
Quand sortira-t-il ?
Au printemps 2024.
photo Afif H. AmirehA lire d'Eric-Emmanuel SchmittLe Défi de Jérusalem. 224 pages, 19,90 eurosLa Traversée des Temps, 3 tomes déjà parus, Paradis perdus (Préhistoire), La Porte du ciel (Babel), Soleil sombre (Egypte Antique). Nos chroniques sur ces livre : ici
Propos recueillis par Muriel Mingau