En Normandie, l'imprimeur du Goncourt "en fête" dans un marché en crise
Prix Goncourt, prix de l'Académie française, Fémina étranger, Médicis étranger: Normandie Roto Impression, "en fête", tourne à plein régime pour réimprimer ces lauréats mais, dans un marché en crise, l'imprimeur normand ne fanfaronne pas.
"Le Goncourt c'est une consécration pour l'auteur, pour l'éditeur mais aussi pour nous imprimeur", explique Patrick Manteigueiro, directeur général de cette PME d'un peu moins de 150 salariés située à Lonrai, au c?ur de la campagne ornaise.
Jeudi, les rotatives tournaient à plein régime pour achever la réimpression de 150.000 exemplaires en deux jours de "Boussole", le Goncourt de Mathias Enard, et les 7.000 à 8.000 du Fémina essai après avoir livré, en quelques jours, les 20.000 exemplaires du Fémina Etranger et 20.000 autres de "2084" de Boualem Sansal, colauréat du Grand Prix du roman de l'Académie française.
Pour relever le défi, Normandie Roto Impression a rappelé ses intérimaires et des salariés en congés. "Et on a anticipé. Au moment de l'annonce du Goncourt comme du Médicis, quitte à perdre de l'argent si nos livres n'avaient pas le prix, tout était en place, on n'avait plus qu'à appuyer sur le bouton" explique le directeur, en déambulant parmi les rotatives et piles de "Boussole".
"C'est sûr que 2015 aura été une année à pression", poursuit l'ingénieur alors qu'une dizaine de salariés installent à la main les bandeaux rouges "prix Goncourt" sur le roman édité par Actes Sud. "Cet été, on a imprimé 450.000 exemplaires de Millénium 4 entre le 15 juillet et le 10 août", ajoute-t-il, un record pour le directeur entré il y a 18 ans chez Normandie Roto Impression.
"On nous a amené le texte en clé USB pour éviter les hackers. Et toute personne qui entrait ici devait laisser son portable à l'entrée", les photos étant interdites, raconte M. Manteigueiro.
Cette riche moisson de prix 2015 succède à une récolte déjà bonne l'an passé. "Faut-il avoir été imprimé chez Normandie Rotor Impression pour séduire les jurés littéraires?", écrivait déjà en 2014 la revue professionnelle des imprimeurs, Caractère.
- "moins de stock"-
Pourtant, la PME qui appartient depuis 2001 à l'imprimeur Maury, un groupe familial, est loin de fanfaronner dans un secteur "en pleine mutation pour ne pas dire sinistré".
Un des trois principaux concurrents français en littérature générale est en redressement judiciaire, souligne le DG.
"Nous (Roto), on est encore bénéficiaires mais c'est de plus en plus difficile de l'être", précise M. Manteigueiro.
Le Goncourt devrait permettre de "conforter" la tendance à la hausse du chiffre d'affaires observée sur les neufs premiers mois de l'année par rapport à janvier-septembre 2014.
Et "en 2015, pour la première fois depuis cinq ans, on espère une hausse de notre c.a. mais nos bénéfices vont baisser", précise le directeur de l'entreprise qui employait 170 personnes il y a environ 5 ans.
Normandie Roto Impression affiche un c.a. de 15 millions d'euros avec 20 millions de livres fabriqués par an, soit 5.000 titres différents, du Coran au Who's who en passant par le Petit Robert, avec 50% des ventes en littérature générale.
Mais "notre relieur est en redressement judiciaire. Or, les livres reliés c'est 15% de notre chiffre d'affaires. Je suis donc très très prudent", ajoute l'ingénieur.
"Depuis quatre ans, le marché est en baisse. Et puis les éditeurs veulent moins de stock", ce qui accentue la baisse des volumes des commandes, détaille M. Manteigueiro.
Quant au livre électronique, l'imprimeur attend de voir. "Au Royaume-Uni, certaines chaînes l'ont déréférencé", avance-t-il. "Rien ne remplace le livre papier, sa capacité à susciter l'imagination", alors que le livre électronique tend au multimédia, plaide M. Manteigueiro, tout en ajoutant : "on verra ce que feront les enfants élevés avec des tablettes".