Partir ou rester ? Au Niger, le dilemme des ressortissants français, alors que l'évacuation a débuté
Dimanche soir encore, l’hypothèse était écartée par le Quai d’Orsay. Le changement de pied a été acté ce mardi matin, via un communiqué. "Compte tenu de la situation à Niamey, écrit le ministère, des violences qui ont eu lieu contre notre ambassade avant-hier et de la fermeture de l’espace aérien qui laisse nos compatriotes sans possibilité de quitter le pays par leurs propres moyens, la France prépare l’évacuation de ses ressortissants et des ressortissants européens qui souhaiteraient" partir.
La concrétisation de l’opération n’a pas traîné. Dans les heures qui ont suivi, trois avions militaires non armés, habituellement dévolus au transport de troupes, ont successivement décollé en direction du Sahel. Ces appareils se sont posés à l’aéroport Diori-Hamani de Niamey pour commencer à embarquer dans le calme, et sous la protection de militaires tricolores, les premiers volontaires au départ – parmi lesquels des Allemands, des Belges, des Italiens ou des Espagnols, selon des journalistes présents sur place.
— Lespiaut Anne-Fleur (@annefleurjo) August 1, 2023Le nombre total de ces rapatriés demeurait incertain dans la soirée. Mais leur retour sur le sol français est prévu dans la nuit.
"Très loin du chaos"Comme l’ensemble des quelque 600 Français présents au Niger au moment du coup d’État militaire du 26 juillet, Jean-Sébastien Josset a été contacté ce mardi par la cellule de crise du Quai d’Orsay. Mais cet employé de l’ONU – il est porte-parole du Haut-commissariat aux réfugiés –, qui vit à Niamey depuis trois ans, a décliné la proposition d’évacuation des autorités.
"Je ne me sens absolument pas en danger ici pour l’instant, nous a-t-il confié par téléphone. Après les manifestations anti-françaises de dimanche, tout est redevenu normal. Les gens vaquent à leurs occupations, circulent comme ils l'ont toujours fait. Bref, on est très loin du chaos."
Conscient néanmoins que ce pays "hyper accueillant", où il n’a "jamais connu le moindre problème, la moindre marque d’hostilité", traverse une "séquence particulière, incertaine", Jean-Sébastien Josset applique désormais quelques consignes de sécurité.
"Pour résumer, je fais profil bas. Je travaille le plus possible chez moi, j’évite les déplacements inutiles. Et quand je dois sortir, je reste prudent, en sachant que les esprits sont peut-être susceptibles de s’échauffer plus que d’habitude…"
À 1.000 kilomètres au nord-est de la capitale, Salma a elle aussi fait le choix de rester. Cette Franco-Nigérienne de 52 ans a quitté l’Hexagone début juillet pour passer deux mois dans son village natal, proche de la ville d’Agadez. Elle n’a pas l’intention d’en partir à ce stade.
"J’ai encore des papiers d’identité nigériens et je suis moins repérable que des Blancs, dit-elle. Pour l’instant, je prendrais plus de risques à faire les deux jours de trajet jusqu’à Niamey, en traversant le pays, qu’à rester où je suis."
"Certains ont la haine"Salma dit cependant "comprendre" qu’une partie des ressortissants français préfère faire ses valises dans le contexte actuel. "On sent bien que c’est plus tendu. Même s’ils sont loin d’être majoritaires, certains ont tellement la haine contre les Blancs qu’ils sont capables de faire n’importe quoi. C’est peut-être plus sûr de partir."
La quinquagénaire glisse au passage que "tout n’est pas aussi simple que les Occidentaux veulent bien le dire" dans la lutte pour le pouvoir entre les putschistes et le président élu. "Quand on entend que la France et les États-Unis veulent faire revenir Mohamed Bazoum parce qu’il serait légitime et qu’il a été démocratiquement choisi, ça nous fait rire… Au moment de son élection, les autorités ont par exemple déclaré 10.000 votants dans un village proche du mien, où il n’y a pourtant que trois maisons. Ici, tout le monde sait bien que le scrutin n’était pas honnête et que Bazoum n’est pas le président du peuple !"
Salma attend donc de voir "comment la situation évolue dans les prochains jours". "Je vais être vigilante", promet-elle. Tout comme Jean-Sébastien Josset à Niamey. "Aujourd’hui, dit-il, je suis préoccupé, mais pas inquiet, d’autant que mes enfants étaient rentrés en France pour les vacances et qu’ils sont à l’abri."
Le porte-parole du HCR ne se résoudra au départ « que si l’ONU est prise pour cible, ce qui n’est pas la tendance du moment. Nous continuons à travailler et à venir en aide aux 4 millions de Nigériens qui dépendent de nous. Je croise les doigts pour que ça ne change pas. »
Stéphane Barnoin