Effrayantes, ces marionnettes du Centre national du costume et de la scène à Moulins ? Pas du tout !

Le Centre national du costume et de la scène met en lumière l’art de la marionnette jusqu’au 5 novembre. Une occasion de montrer l’étendue des possibilités offertes par cet "instrument pour la scène". Ludique et instructif.

Tout dépend de sa tronche, mais a priori, une marionnette, c’est perturbant. Voire, parfois effrayant. Surtout quand elle nous ressemble, qu’elle est à notre taille, ou démesurément grande. Une confrontation avec notre reflet, parfois peu reluisante. On imagine déjà les plus petits terrorisés par l’exposition "La marionnette, instrument pour la scène", à voir en ce moment au Centre national du costume et de la scène (CNCS), à Moulins.

Bon, en fait, pas du tout. De nombreuses classes sont déjà passées la voir avant l’été. Il paraît qu’aucun élève n’est ressorti traumatisé. Dans le doute, on a quand même demandé à une maman trouvée sur place, Aurélie, avec ses trois enfants, "en vacances cet été chez papi mamie". "Bof, ils n’ont pas peur de grand-chose. C’est vrai que parfois on craint pour eux, mais ils ont un univers de contes de fées…"

Et dans les contes de fées, les ogres et les monstres peuplent les histoires. À la maison, Merwan (10 ans), Ilyne (6 ans), et Liwene (5 ans), se cachent derrière les fauteuils et font le show avec des marionnettes. Alors l’expo a de quoi les inspirer.Des modules sont disposés dans le musée pour créer ses propres créatures. Photo Corentin Garault

À travers les salles du musée, habitées par des muppets de toutes les couleurs, des squelettes ailés et autres créatures fantastiques, des petites boîtes permettent aux enfants de mettre à l’épreuve leur imagination et leur créativité. 

Dans l’une d’elles, des câbles électriques disposés avec cette consigne :

Tords, plie, tourne, pour façonner la matière et faire apparaître ta créature.

Les prochaines représentations derrière le canapé promettent de belles surprises.

La marionnette dans tous ses états et sous toutes les coutures

De la matière au détournement, les marionnettes, de véritables instruments pour la scène, montrent l’étendue de leur gamme de Centre national du costume et de la scène.Certaines marionnettes sont fabriquées dans des matières très variées : papier craft, cire, eau. Photo Corentin Garault

Une fois les premiers frissons ressentis dans l’exposition, les visiteurs peuvent s’étonner de l’étendue de l’imagination des créateurs marionnettistes.L’une des salles met à l’honneur la matière, dans tous ses états. On y remarque plusieurs personnages tout blancs, translucides, d’environ 50 centimètres de haut, tout droit sortis du Cid de Corneille. 

Sur scène, ils étaient faits de glace. Des marionnettes constituées donc… d’eau du robinet ! Dans les années 90, Émilie Valantin se produisait dans différentes villes, en créant ses moules aux formes souhaitées, à remplir d’eau la veille du spectacle. Ils étaient uniques à chaque fois.À l'arrière-plan, des marionnettes "en glace". Photo Corentin Garault

"En fonction du calcaire de l’eau des villes, les personnages étaient plus ou moins blancs, et selon la température de la salle, les représentations duraient environ une heure" explique Stéphanie Laubignat, guide conférencière au CNCS. Avec de telles marionnettes, tout est possible : elles peuvent mourir et renaître tous les soirs. Écouter une guide conférencière, c’est mieux, mais sinon, pas de panique : la plupart des vitrines projettent des vidéos très didactiques.

En plus de s’habiller de formes très variées, ces "instruments pour la scène" que sont les marionnettes, permettent de "montrer des choses, plutôt que les dire". Comme ce Dom Juan de la Compagnie Houdart-Heuclin, (en photo sur l’affiche de l’expo), représenté comme une pièce d’un échiquier. Un jeu de société, miroir de celle-ci.Dom Juan de la Compagnie Houdart-Heuclin. Photo Corentin Garault

La marionnettiste Émilie Valantin a aussi utilisé le potentiel de cet art avec cette intention. En transformant un castelet (petit théâtre mobile) en immeuble, où l’on voit tous les habitants détester l’un des voisins : "Cela évoque le harcèlement moral et physique, reprend Stéphanie Laubignat. On y voit des bottes démesurément grandes à côté du personnage harcelé. Un choix visuel fort pour montrer qu’on lui marche dessus".

D’autres artistes vont encore plus loin dans l’exploitation du potentiel de la marionnette : ceux du "théâtre d’objet". Le CNCS a laissé carte blanche la Compagnie La Bande Passante pour mettre en scène toute une vitrine de l’exposition. "Ils ont reproduit un endroit familier, un salon, où la plupart des gens reconnaissent au moins un objet."

L’idée de ce type de théâtre moderne ? Que tous les objets de la vie quotidienne peuvent transmettre une émotion.

Dans le salon de la vitrine, chaque assiette et autres éléments transmettent une mémoire, collective et personnelle, et le narrateur se rend compte qu’il n’a pas connu toutes les personnes qui ont vécu dans ce lieu.

On peut donc faire passer des messages dans les arts du spectacle, sans forcément de personnages à proprement parler. Et de la même manière, au-delà de cette exposition dédiée à la marionnette, telle est la nouvelle ambition du CNCS : montrer la plus grande diversité des instruments scéniques, et plus seulement des costumes.

Emeric Enaud