Pouvoir d’achat : récit d’un pataquès au sommet de l’Etat
Emmanuel Macron déteste les figures imposées et c’est précisément ce à quoi il a dû se livrer dimanche soir à la télévision. Attention, terrain glissant : comment traiter un sujet, en l’occurrence le pouvoir d’achat, dont tous les ministres s’accordent à dire qu’il est intraitable - "C’est un combat perdu d’avance", dit l’un d’eux -, et dont le président a fini par concéder qu’il était indispensable s’il voulait éviter que son intervention télévisée ne paraisse complètement hors sol ? Vanter la formidable semaine française, de Charles III au pape François, ne suffirait pas à remplir le portefeuille…
Pour résoudre un problème qui ne peut pas l’être, le chef de l’Etat a recours à une antiphrase : "Je ne vais pas faire le travail du gouvernement et du Parlement." Comprenez : je suis obligé de faire exactement le contraire de ce que je dis, parce que mes ministres n’y arrivent pas. A commencer par la Première d’entre eux, le mauvais exemple vient d’en haut. Emmanuel Macron a enterré sans fleurs ni couronnes la proposition d’Elisabeth Borne de présenter un projet de loi autorisant la vente à perte du carburant. L’idée est venue d’une direction de Bercy et remonte jusqu’à Bruno Le Maire. Le ministre de l’Economie consulte et se rend vite compte que les distributeurs ne veulent pas en entendre parler. Le 15 septembre, il informe le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler.
Mais à la surprise générale, deux jours plus tard, Elisabeth Borne sort les trompettes pour annoncer avec solennité dans Le Parisien : "Aujourd’hui, je vous annonce qu’à titre exceptionnel sur le carburant et sur une période limitée de quelques mois, nous allons lever cette interdiction, ce qui permettra aux distributeurs de baisser davantage les prix. Avec cette mesure inédite, nous aurons des résultats tangibles pour les Français, sans subventionner le carburant. Le pouvoir d’achat, c’est notre combat." Pire, dans les heures suivantes, le gouvernement laisse filtrer que la baisse du carburant pourrait aller jusqu’à 47 centimes en dessous du prix.
On connaît la suite : c’est l’hallali. Certains ministres reçoivent la visite des agriculteurs de leur circonscription. Ils ne sont pas concernés, mais leur raisonnement suscite bien des inquiétudes : "On a compris, vous commencez par l’essence, ensuite ce sera les denrées alimentaires." Dimanche matin, l’Elysée acte l’enterrement de la mesure. Il n’y aura pas de projet de loi en octobre, comme Bruno Le Maire l’avait annoncé. Difficile de se prendre les pieds dans le tapis de façon plus spectaculaire. "On a fait peur et cela nous a explosé en pleine figure, résume un ministre. On ne peut pas sortir comme ça des idées, c’est surestimer la place du politique."
"Nous sommes face à un trou noir"
Mais la pression de l’opinion sur l’inflation en ce mois de septembre rend inaudible tout le reste de la parole de l’exécutif. Certains ont bien compris que le discours sur le retour du plein-emploi ne servait à rien, en tout cas se révélait très insuffisant pour apaiser la colère qui monte. Toute la journée de dimanche, le téléphone chauffe, notamment entre l’Elysée et Bercy. Emmanuel Macron et Bruno Le Maire se parlent à plusieurs reprises. Le président cherche la martingale, le ministre de l’Economie veut rester ferme sur ses fondamentaux : il faut tenir, au maximum un an. "Ce sujet brouille tout, les repères, les revenus, les vérités, nous sommes face à un trou noir", résume un proche.
Sur TF1 et France 2, Emmanuel Macron annonce qu’il prolonge l’aide ciblée de l’Etat sur le carburant, jusqu’à 100 euros par an, pour les ménages les plus modestes. Officiellement, il ne s’agit surtout pas de prolonger la politique du carnet de chèques, mais on se perd vite dans ce débat sémantique. Chat échaudé craint l’eau froide : Emmanuel Macron tient les rênes de son gouvernement. Comment vont avancer les négociations entre industriels et distributeurs ? "Je vais y veiller personnellement", annonce-t-il. Et voici le président obligé d’être en première ligne sur un dossier dont les responsables politiques ne sortent jamais vainqueurs.