Assassinat à Arras : les dossiers d'expulsion des personnes originaires du Caucase, "priorité du moment" de Darmanin
Alors qu'a été observée ce lundi, à 14 heures, une minute de silence dans tous les collèges et lycées en hommage à Dominique Bernard, le professeur poignardé à mort par un ancien élève radicalisé, vendredi, à Arras, l'exécutif et la majorité présidentielle ont élevé la voix pour faire entendre leur volonté de plus de fermeté, notamment auprès des juges en charge des dossiers d'expulsion.
Après l’attentat terroriste d’Arras, l’exécutif et la majorité présidentielle ont réaffirmé à l’envi, hier, leur fermeté. Le président de la République entend notamment voir ses ministres « incarner un État impitoyable ».
À la présentation du projet de loi immigration a ainsi fait écho l’insistance d’Emmanuel Macron à ce que soit très minutieusement épluché le fichier des personnes radicalisées susceptibles d’être expulsées de France pour s’assurer qu’il n'y a eu aucun « oubli » dans l’examen des procédures. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a aussitôt annoncé que 2.852 situations seraient revues et 193 expulsions d’étrangers radicalisés en situation irrégulière accélérées.
La Tchétchénie dans le viseur« Au-delà de la com’ politique, analyse Serge Slama, professeur de droit public à l’université de Grenoble-Alpes, le contexte sert de levier à l’exécutif pour faire pression sur les juges et forcer les expulsions dans des cas tangents. Dans de précédentes instructions, le ministère de l’Intérieur avait déjà demandé aux préfets d’identifier les dossiers sensibles. Ceux des personnes originaires du Caucase, notamment de Tchétchénie, priorité du moment pour Gérald Darmanin, étaient en haut des piles. »
« L’assassin de l’enseignant d’Arras, poursuit-il, est arrivé en France à l’âge de 5 ans et, à ce titre, faisait partie des catégories protégées contre l’éloignement. Il était certes fiché S, mais les éléments justifiant une surveillance à son encontre n’ont pas, avant son passage à l’acte, été estimés suffisants pour justifier une mesure d’expulsion pour atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État. Sera-ce encore le cas demain ? Les juges n’emboîteront-ils pas plus facilement le pas des préfectures de peur d’être tenus responsables si une personne non expulsée venait à commettre un acte terroriste ? Pour quelques éléments radicalisés, combien d’autres étrangers seront expulsés au nom d’une dangerosité potentielle ? »
"Les dispositifs légaux existent"« Une personne peut être expulsée, rappelle Me Mouad Aounil, soit parce qu’elle est en situation irrégulière, soit parce que, bien que détentrice d’un titre de séjour, elle est jugée indésirable ou de nature à troubler l’ordre public, pour des faits notamment de délinquance ou de radicalisation. Par ailleurs, le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, en son article L 721-4, et l’article 3 de la Convention européenne des Droits de l’Homme conditionnent le renvoi d’une personne vers son pays d’origine à l’absence de risque d’exposition à la torture et/ou traitement inhumain ou dégradant. Certes, la jurisprudence précise que le risque encouru doit, d’une part, être personnel et, d’autre part, sérieux et grave. Ce qui accroît la part de subjectivité… »
« Jusque-là, reprend l’avocat clermontois, en cas de dossier rejeté par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, neuf préfectures sur dix attendaient la décision de la Cour nationale du droit d’asile avant d’ordonner l’expulsion. Car, avec leurs difficultés certes, les dispositifs légaux existent. Il suffit de les appliquer. Reste qu’une expulsion coûte cher en argent et en temps. Et la France s’honore à respecter les traités internationaux qu’elle a signés. Les démocraties sont fragiles, c’est même ce qui fait leur force. Les engagements signés en situation de paix n’ont ainsi de sens qu’en situation de guerre… » Jérôme Pilleyre