Pourquoi les milliardaires doivent-ils mettre la main à la poche pour financer la transition écologique

Plus on est riche, moins on paye d’impôt ? Une note inédite de l’Institut des politiques publiques, s’appuyant sur les données de l’administration fiscale française, a mis le feu aux poudres en juin. « Le taux effectif payé par les 0,1 % les plus fortunés diminue à mesure que l’on grimpe dans l’échelle des revenus, passant de 46 % à l’entrée de cette population à 26 % pour les 75 foyers du sommet de la pyramide » a divulgué l’institut rattaché à l’École d’économie de Paris.

L’idée de taxer de manière plus juste les plus fortunés fait partout son chemin. Aux États-Unis, au Canada, en Europe – mais pas en France –, sur fond de ménages asphyxiés par la hausse des prix et d’États endettés jusqu’au cou, le mouvement des millionnaires demandant à payer plus d’impôts « pour que le monde aille mieux » ne cesse de s’amplifier.

Lundi 23 octobre, l’Observatoire européen de la fiscalité a chiffré les enjeux : « Un impôt minimum mondial sur le patrimoine de 2.800 milliardaires, dont le taux serait fixé à 2 % » pourrait multiplier part sept les recettes fiscales, générant plus de 200 milliards par an dont 40 milliards pour les États européens. « L’utilisation fréquente des sociétés écrans » réduit ce taux « entre 0 et 0,5 % », une peau de chagrin, ajoute l’institut financé notamment par l’Union européenne.

Ce constat des « super riches ayant les moyens d’échapper à l’imposition » a amené l’euro-députée française Aurore Lalucq (Place publique) et Paul Magnette, président du Parti socialiste belge, à ouvrir une brèche. Plutôt que de taxer le patrimoine des ultra-riches, ils proposent un « impôt sur la fortune, écologique et social ». Car si les 1 % les plus riches s’accaparent la moitié des richesses mondiales, d’après l’ONG Oxfam, ils émettent à eux seuls plus d’émissions de CO2 que la moitié la plus pauvre de la planète, a calculé l’économiste Lucas Chancel, qui soutient l’initiative citoyenne européenne (ICE) lancée par ces deux figures du camp social-démocrate.

Cette ICE, le pendant européen du référendum d’initiative partagée français, a reçu en juillet le feu vert de la Commission européenne. Il ouvre la voie à l’inscription d’un ISF vert à l’agenda européen sous réserve que la pétition recueille au moins un million de signatures dans les 27 États de l’UE d’ici un an.

« Selon l’OCDE, que l’on ne peut pas soupçonner d’être à gauche, dans tous les pays européens, les revenus issus des salaires, du travail sont bien plus taxés que les revenus issus des dividendes, du capital », mentionne Aurore Lalucq. « Quand Thomas Piketty (également signataire de l’ICE, ndlr) dit qu’il vaut mieux hériter que travailler, il a raison. C’est devenu un sujet d’ordre démocratique », insiste-t-elle.

Le territoire de l’Union européenne apparaît comme la bonne échelle face à des États, en premier lieu la France, qui renâclent à imposer une nouvelle taxe sur les plus fortunés par crainte de les voir prendre la poudre d’escampette. « Cet argument nous est régulièrement opposé. C’est pour cela qu’il faut favoriser les accords globaux. C’est ce qu’on a fait avec l’accord mondial sur les multinationales, avec un impôt minimal de 15 %, pour ne pas créer de concurrence fiscale entre les États. »

L’angle choisi, un ISF vert, répond, lui, au double enjeu environnemental et social. « Ce sont les plus riches qui polluent le plus. Et ce sont les plus pauvres qui en pâtissent le plus. C’est pourquoi, ce sont les grosses fortunes qui doivent nous aider à financer la transition écologique. Il faut investir dans les alternatives pour trouver un consensus social. Quand on est pauvre, on n’a pas les moyens de s’acheter une voiture électrique ou d’isoler convenablement sa maison », appuie Aurore Lalucq.

Sans solidarité, sans justice fiscale, et si on ne s’adresse qu’aux bobos, ça donne les Gilets jaunes

L’ICE a adopté comme principe de ne pas fixer de seuil ni de taux dans la taxation. « Ce sera à la Commission de nous dire ce qu’elle propose », avance la députée européenne, qui insiste sur un point : « Les exceptions et les niches sont la plaie de nos systèmes d’imposition, ce qui donne un taux réel, effectif, régulièrement très en deçà du taux affiché. Cet ISF vert doit être exemplaire, ne présenter aucun trou dans la raquette. »

Car, de son avis, cette initiative, si elle aboutissait, pourrait en partie restaurer la confiance ébranlée des citoyens vis-à-vis d’une Union européenne jugée déconnectée des réalités et à la solde des lobbys. Via cette superpétition « les citoyens ont leur mot à dire, ils peuvent avoir un impact direct sur les politiques publiques. On a besoin de leur mobilisation. Et cela aidera la Commission européenne qui, en matière fiscale, est beaucoup plus progressiste que les États membres. Nous en sommes témoins au Parlement : que ce soit la taxation sur les surprofits, la lutte contre les sociétés écrans ou la liste noire des paradis fiscaux, à chaque fois, ce sont les États qui viennent nous mettre des bâtons dans les roues. »

Nathalie Van Praagh