Sanofi et le Doliprane : les ressorts d'un revirement stratégique
Séisme dans le monde du médicament. Ce vendredi, Sanofi, fleuron de l’industrie pharmaceutique française, a annoncé se séparer de la division qui produit notamment le Doliprane, marque sexagénaire prisée des Français. Le but affiché est de mieux se concentrer sur la recherche de nouvelles cures prometteuse. L’entité, appelée "Grand public" doit devenir autonome et être introduite en bourse à la fin de l’année 2024, a indiqué l’entreprise, sans préciser si elle restait actionnaire majoritaire.
En se séparant de "Grand public", Sanofi emboîte le pas à ses concurrents et donne la priorité à la découverte de nouveaux remèdes ciblés. Vendus très chers car ne souffrant d’aucune concurrence et permettant des espoirs thérapeutiques importants, ces médicaments dits "innovants" offrent actuellement les taux de rentabilités les plus importants du marché, mais sont accusés de monopoliser l’intérêt des laboratoires, alors que certains remèdes courants, aux marges faibles sont parfois introuvables.
Au-delà de ces considérations stratégiques - Sanofi a perdu 19 % de sa valeur à la suite de l’annonce, signe des doutes des investisseurs, car la firme a raté le virage de l’ARN et des biotechnologies - l’annonce a jeté le trouble sur l’avenir du Doliprane en France, alors que le gouvernement a promis de relocaliser la filière avant la fin de l’année 2023 pour résorber les pénuries observées depuis la crise sanitaire : de plus en plus de médicaments dits "matures", comme le paracétamol mais aussi les antibiotiques, la cortisone manque à l'appel.
Contrairement à ce qu’à cru une partie de la presse, l’annonce du géant français ne signifie pas, en l’état, que la production du Doliprane va être arrêtée. Reste que certains y voient un coup porté aux efforts pour restaurer la souveraineté pharmaceutique hexagonale, d'autant plus que la firme va céder ses forces logistiques au profit de la firme allemande DHL. "A quoi ça sert que l’Etat aide Sanofi à investir si c’est pour que le Doliprane finisse dans les mains de fonds vautours, guidés uniquement par la rentabilité", déplore Jean-Louis Peyren, délégué CGT-Sanofi.
Pas d’affront à la relocalisation, pour le gouvernement
Interrogé par L’Express, Sanofi réfute tout "impact sur la production, l’emploi, l’approvisionnement ou l’investissement sur le territoire". Selon l’entreprise, la réorganisation vise seulement à clarifier les différentes activités du groupe pour favoriser l’investissement. La semaine dernière, le groupe a injecté 20 millions d’euros dans son centre de production situé à Lisieux, dans le Calvados. De quoi augmenter de 30 % les livraisons, dans les prochaines années, conformément aux demandes du gouvernement.
Reste qu’en l’absence de précision sur la nature exacte de la vente de Grand public, difficile de ne pas douter : "Si les produits de Grand public, le Doliprane, mais le Muscosolvan, la Lysopaïne, le Maalox ne sont pas assez rentables pour Sanofi, il y a un fort risque qu’ils ne le soient pas assez pour le marché financier. Et on ne sait pas si les nouveaux investisseurs seront autant à l’écoute que Sanofi, qui est un partenaire historique de l’État en matière de santé publique. C’est d’ailleurs étonnant que Bercy ait accepté", abonde l’économiste.
Précisant être en contact "clair et direct" avec le président du conseil d’administration de Sanofi, notamment depuis les annonces, le cabinet de Roland Lescure, ministre de l’industrie, indique à L’Express ne pas voir en la décision de Sanofi un affront fait aux objectifs français : "Les engagements de Sanofi sur le paracétamol ne sont aucunement remis en cause". Et de préciser : "En cas de projet de vente d’Opella, si l’acheteur est étranger, le projet sera soumis au contrôle des investissements étrangers".
Entériné par 49.3 ce lundi à l’Assemblée nationale, le projet de loi de finance de la sécurité sociale prévoit notamment de renforcer les obligations des entreprises. De quoi s’assurer que celles-ci trouvent un repreneur en cas d’arrêt de commercialisation. Si aucun ne se manifeste, "il sera possible de concéder temporairement l’autorisation de mise sur le marché à un établissement pharmaceutique public pour poursuivre l’exploitation", ajoute l’entourage de Roland Lescure.