Le génie de Blaise Pascal s'exporte du Vatican jusqu'aux États-Unis, 400 ans après sa mort

Que dire de Blaise Pascal en cette fin d’année 2023 où il a été célébré à travers le monde, quatre cents ans après sa naissance, par les plus grands spécialistes de l’homme et de l’œuvre… Que dire de plus, surtout, au risque de répéter qu’il était un génie, incarnation de l’élève surdoué, aussi à l’aise en maths qu’en physiques et en philo… Deux exemples aident à cerner l’érudit, habitué aux grands écarts. Le pascal, unité de mesure de la pression atmosphérique qui a donné des sueurs froides aux littéraires, c’est lui. Et qui n’a jamais prononcé cette pensée pascalienne “Le cœur a ses raisons, que la raison ne connaît point”, pour tenter de justifier une relation amoureuse qui ne saute pas aux yeux ?

Rappelez-vous le billet de 500 francs, qui était à son effigie. La valeur semble avoir été choisie pour symboliser le paradoxe de ce grand homme, célèbre inconnu, suffisamment renommé pour figurer sur du papier-monnaie mais représenté sur un billet inaccessible pour beaucoup de gens qui n’auront jamais eu le bonheur d’en sortir un de leurs portefeuilles. C’est ça, Pascal. Un nom qui nous parle grâce aux deux exemples cités plus haut ou parce qu’il a imaginé l’ancêtre de la calculatrice (la pascaline) et dessiné le premier réseau de transport urbain (le carrosse à cinq sols). Et, en même temps, une intelligence qui nous dépasse si l’on n’est pas armé pour étudier ses travaux mathématiques ou comprendre ses pensées sur le monde ou sur la religion.

Complexe. Fascinant. Et même au-delà de nos frontières, c’est plus inattendu. Si Clermont-Ferrand, ville de sa naissance, a concentré l’essentiel des hommages, des colloques et des expositions de cette année commémorative, Blaise Pascal a fait parler de lui dans le monde entier.

Citons en premier lieu l’hommage rendu par le pape François le 19 juin dernier - jour anniversaire de la naissance de Blaise Pascal -, dans une lettre apostolique intitulée Sublimitas et miseria hominis (Grandeur et misère de l’homme). On connaissait l’admiration du souverain pontife pour le génie depuis qu’il s’était dit favorable à sa béatification, dès 2017. Mais cette lettre apostolique a surpris la communauté pascalienne qui n’a pas manqué de rappeler que le Clermontois a défendu en son temps les jansénistes face aux jésuites. L’évêque de Rome étant lui-même jésuite…

Un timbre commémoratif. Après les éditions de 1944 et 1962, Blaise Pascal apparaît depuis le mois de juin dernier sur un nouveau timbre commémoratif, créé spécialement par la Poste pour marquer les 400 ans de la naissance du génie clermontois. Gravé par Elsa Catelin, il a été tiré à 600.000 exemplaires. Le visuel, signé Florence Wojtyczka, est empli de détails et de références à l’homme et à son œuvre : du tableau de François Quesnel, conservé au musée d’art Roger-Quilliot de Clermont-Ferrand, au cadran d’une pascaline.

Au-delà de la controverse, on retiendra que cette missive rarissime (seuls Dante et saint François de Sales en ont eu l’honneur durant le pontificat) permet au pape de mettre en lumière la modernité de Blaise Pascal. Au XVIIe siècle déjà, il démontrait que la foi et la science ne sont pas incompatibles.

Du Vatican à la Russie, il n’y a qu’un pas, au sens géographique s’entend. Nous oserons le franchir pour souligner que, selon des statistiques difficiles à vérifier, Blaise Pascal serait toujours le penseur français le plus lu dans le pays. Laurent Thirouin, parmi les éminents spécialistes de Pascal, note que Tolstoï a fait des Pensées son livre de chevet, après la parution de Guerre et paix. Dostoïevski (Crime et châtiment) était quant à lui considéré comme le plus proche de Pascal, "par l’esprit et le cœur". Plus contemporain, l’écrivain Boris Tarassov a publié un livre qui résume tout : Pascal et la culture russe.

Il serait mentir d’affirmer que Les provinciales font partie des best-sellers aux États-Unis mais le pays de l’oncle Sam regorge lui aussi de spécialistes du philosophe-mathématicien-physicien-théologien. Dans l’un des courriers du Centre international Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand, intitulé Pascal en Amérique (1989), Pierre Force citait parmi d’autres des noms qui parlent aux Pascaliens français : Jean-Jacques Demorest, Hugh Davidson, David Wetsel ou Sara Melzer. Cette année, c’est l’universitaire Yuval Avnur qui s’est illustré en organisant en mars à Claremont (en Californie) un colloque de trois jours consacré à Blaise Pascal, dans le cadre des 400 ans de sa naissance.

Durant la même semaine, Clermont-Ferrand accueillait, elle aussi, un colloque international proposé par trois figures pascaliennes, Laurence Plazenet, Dominique Descotes et Laurent Thirouin. Avec des intervenants venus de la Sorbonne ou de Lyon mais aussi de Milan, São Paulo et Osaka. Le 19 juin, on parlait de Pascal à Rome mais aussi à Bucarest ou à Montréal.

"C’est au niveau international que l’on voit l’extraordinaire rayonnement de Pascal", affirmait Laurence Plazenet, directrice scientifique du Centre international Blaise-Pascal, au moment de lancer les commémorations, en janvier. L’année qui s’écoule lui donne raison.

Thierry Senzier