Germain des Loups, l'histoire vraie (mais triste) de l'homme qui inspira le parc animalier de Chabrières près de Guéret

Quand une histoire ne va pas dans le sens de l’histoire, elle peut s’évanouir dans le temps. Sauf si quelqu’un prend soin de la consigner et de la transmettre. Auquel cas beaucoup diront « Ah oui c’est vrai, on s’en souvient ».

Tel est probablement ce qui va se passer avec Germain des Loups, le nouveau livre de Ghislain Bonnet, auteur du pays sostranien qui vient d’exhumer d’un passé pas si lointain une figure creusoise et l’histoire qui va avec, douce amère.

Il s’agit du parcours de Germain Fourneron, un Creusois d’origine, accidenté de la vie et non conformiste, passionné de culture amérindienne et de loups, revenu au pays avec sa meute, qui formera sur le tas une sorte de parc animalier avant l’heure. L’Enclos des Loups, de Saint-Maixant.

Un parc Far West sur le Millevaches,ça aurait eu de la gueule

Et celui-ci nous apparaît aujourd’hui comme la préfiguration du parc de Chabrières. C’est la thèse défendue par Ghislain Bonnet et que de nombreux éléments confirment au fil du livre très documenté.

L’auteur a passé un an et demi à remonter ce fil emmêlé dans les broussailles de la mémoire. D’une part avec ceux qui connurent bien le protagoniste, d’autre part à grand renfort d’archives. Elles ne manquent pas, encore fallait-il les mettre bout à bout.

Car si Germain Fourneron est parti en avril 2008, il a marqué beaucoup de monde dans la région et au-delà. Son combat avait fait des émules sur des forums, première époque d’Internet, qui sont encore en ligne aujourd’hui.

Et une petite notoriété l’avait fait apparaître dans les médias, ainsi par exemple une interview de France Inter à la fin de sa vie. « J’ai commencé à m’intéresser à lui en tombant par hasard sur une vidéo sur You Tube à propos de L’Enclos des Loups, qui m’avait un peu ému », explique l’auteur.

Il faut dire que la trajectoire est singulière. Germain Fourneron, fils d’un maçon creusois et qui avait grandi hors de Creuse, avait fini par y revenir après une séparation d’avec son épouse et ses enfants. Et alors que sa passion pour les loups devenait encombrante dans un pavillon de banlieue...

C’est du côté d’Aubusson, à Saint-Maixant, qu’il rachète un terrain à la Safer au tournant des années 1980. D’abord trois ou quatre loups à l’attache, puis en liberté, dans L’Enclos. Ce parc privé fondé en 1986 s’inscrit rapidement dans le paysage local.

Même si le propriétaire passe immanquablement pour « un original, ou un marginal », décrit Ghislain Bonnet. Les écoles, par exemple, y font des visites pédagogiques. On vient s’y promener le dimanche pour apercevoir la meute.

Initialement prévu pour accueillir une quinzaine de loups, il en contiendra jusqu’à 25 à la fois… Et encore plus de 15 chiens de races nordiques… Germain fait le musher avant que ce soit la grande mode, et il se retrouve à l’animation de plusieurs fêtes locales. Certains animaux sont aussi sollicités pour tourner au cinéma ou à la télé.

« Amoureux de la nature, Germain voulait par dessus tout la compagnie de ses loups de jour comme de nuit », raconte l’auteur. Il voulait en changer l’image aux yeux des hommes. Et au passage, « transmettre aux grands comme aux petits sa vision d’un monde meilleur ». Montrer que « s’il n’est pas simple d’être heureux tous les jours, il est possible de vivre pleinement ses passions… »

Mais vision sans doute un peu trop utopique dans cette fin de siècle à la modernité brutale. Y compris dans la libre Creuse. Il y a de plus en plus de règles. De cases. Dans lesquelles Germain Fourneron, « ingérable et entier », ne rentrera jamais.

Le parc pose peu à peu des problèmes sur les plans vétérinaires et d’urbanisme… Des conflits locaux apparaissent, remontent jusqu’en préfecture. Deux tentatives de mise en conformité sont retoquées par l’administration, en 1992 et 1998. Les loups sont des animaux sauvages, détenir des animaux sauvages est interdit.

Mais lequel est le plus rude, du monde des hommes ou du peuple animal ? Et n’est ce pas dans la prétendue sauvagerie que se trouvent les sentiments les plus purs ? Germain des Loups semble en tout cas avoir son camp depuis longtemps.

Il s’accroche à son rêve, même si l’histoire tourne mal. Caresse ainsi l’idée d’un parc à thème et se rapproche d’indianistes - des passionnés de l’univers amérindien. Se nouant d’amitié avec un authentique descendant de Sioux Lakota qui vit en France.

Ils recherchent un emplacement sur Millevaches pour créer quelque chose de nouveau. Un parc à propos du Far West, là-haut sur le Plateau, ça aurait eu de la gueule… 

Mais le scénario s’oriente vers un autre territoire, avec l’intervention d’André Lejeune. Celui qui est alors maire de Guéret et président de l’intercommunalité est allé à Saint-Maixant et émet l’idée de transférer les loups du côté de Chabrières.

L’auteur met en parallèle cette rencontre, qui se passe autour de 1995, avec un croquis réalisé par Germain Fourneron, et qui est daté de 1992, dans lequel on voit, déjà, le parc à loups. D’ici à lui en attribuer la paternité…

Le deal semble gagnant-gagnant : à Guéret un formidable outil touristique, à Germain Fourneron une solution à ses ennuis juridique et financier. Oui mais voilà : « au départ on lui a mis la main dans le dos, mais ensuite à mesure que le projet avançait… » En effet, Germain sort encore du cadre. Ou en l’en sort, chacun se fera son idée.

Car des points d’achoppement apparaissent dans la construction du projet. Par exemple : le fait que les loups devraient aller dans des enclos séparés, là où Germain préfère qu’ils restent tous ensemble… Ou encore sur son droit d’accès aux animaux : la convention qui lui est proposée réduit sa présence à 21 jours suivant le lancement du parc.

Une plaque à Chabrières,près de ses amis les loups ?

Étrange. Et inacceptable pour Germain Fourneron, qui préfère se désengager tout net. Il refuse finalement que ses animaux soient récupérés pour ce projet. Lequel, on le sait bien, verra finalement le jour. Mais, on le sait peu, avec des animaux venus d’ailleurs. Tandis que ceux de Saint-Maixant, on le sait encore moins, finiront… en Bretagne.

Un rendez-vous manqué en somme, qui raconte sans doute quelque chose de la Creuse et de l’époque. Et surtout, qui est incroyablement pathétique. Car si le parc de Chabrières est aujourd’hui une indéniable réussite, cette aventure aurait pu être encore plus belle. Imaginons le sens qu’elle aurait pris en s’enracinant dans la passion d’un homme et la fascination de tout un territoire.Ghislain Bonnet, auteur sostranien du livre Germain des Loups, sera notamment en dédicace au marché de Noël d'Aubusson le 16 décembre.

Mais on ne refait pas l’histoire. Ghislain Bonnet avoue cependant qu’il aimerait l’amender. « Il y a eu des choses pas correctes. “Ils” auraient pu faire mieux pour lui. » Son livre, espère l’auteur, contribuera à réhabiliter Germain des Loups.

Et pourquoi pas donner lieu à une sorte de réparation symbolique mais très concrète : « une plaque commémorative à l’entrée du parc de Chabrières, pour être au plus près de ses amis les loups. On lui avait promis, mais les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent ». Qui, aujourd’hui, écoute ?

Floris Bressyfloris.bressy@centrefrance.com