En Creuse, le dérèglement climatique fragilise de plus en plus la ressource en eau

Les pluies abondantes et continues qui ont arrosé la Creuse ces dernières semaines ont regonflé ses ressources en eau. Mais elles sont loin d’avoir permis d’effacer complètement les sécheresses hivernales et estivales successives qui fragilisent, depuis des années, ses réserves et ses milieux.

Cette année ressemble, dans la durée de la crise et son intensité, à ce qu’il s’est passé en 2019, année de sécheresse historique. « 2023 a été exceptionnelle par les températures qui ont été enregistrées et par la durée de la sécheresse », constate Philippe Triboulet, chef du service Espace rural, risque et environnement à la Direction départementale des territoires.

« Il n’a pas plu l’hiver précédent, il n’a pas plu au printemps. On a de grosses averses qui sont tombées en été mais pour autant, fin septembre, début octobre on a battu des records de températures »

@Floris Bressy

Météo France parle de températures les plus élevées depuis 1960. En 2022, le premier arrêté de vigilance sécheresse est tombé mi-mai, celui d’alerte mi-juin, d’alerte renforcée mi-juillet et celui de crise début août, rétrogradant en alerte renforcée début octobre puis en alerte simple en novembre et vigilance en décembre. Cette année, la vigilance était de mise deux mois et demi plus tôt, dès le mois de mars. Les seuils ont ensuite suivi la même évolution que l’année précédente, sauf que l’arrêté de crise s’est poursuivi tout au long du mois d’octobre, basculant en vigilance seulement le 31 octobre et après une semaine de pluies soutenues ininterrompues.

« Tous les cours d’eau n’étaient pas remontés à des seuils normaux à cette date, précise Philippe Triboulet. Mais au moins 50 % d’entre eux étaient passés au-delà du seuil plus de cinq jours d’affilée (lire ci-dessous), c’est pour cela qu’on a décidé de passer directement d’arrêté crise à arrêté vigilance. »

Les pluies de fin octobre-début novembre ont gonflé les cours d'eau creusois, comme ici le Thaurion, à Pontarion, qui est sorti de son lit. @ Floris BRESSY

Si les pâturages ont soudain les pieds dans l’eau, et qu’on observe un apparent “trop-plein” d’eau, il faut rester vigilant car la sécurisation de la ressource en eau reste fragile en Creuse.

« On a eu de l’eau, de la pluie mais ce n’est pas suffisant. Les gens ont du mal à comprendre que même s’il pleut pendant le printemps, pendant l’été, l’eau qui tombe ne va pas jusqu’aux réserves et aux nappes », souligne Philippe Triboulet. Tout simplement parce que la végétation consomme directement une bonne partie de cette eau. « Et quand la végétation pompe l’eau, elle ne descend pas en profondeur pour reconstituer les réserves. Il y a aussi le paramètre du vent à prendre en compte, qui assèche les parcelles. »

La Creuse doit également faire avec sa position de tête de bassin-versant et ses caractéristiques géologiques granitiques qui la privent de nappes phréatiques conséquentes.

« Du coup, on n’a pas de grandes réserves comme dans d’autres départements et région en aval, donc pour boire, il faut que l’on ait de l’eau et pour avoir de l’eau, il faut qu’il pleuve »

Et le département a des disparités en la matière. « La situation est un peu particulière, il a bien plu sur la partie ouest et au fur et à mesure que l’on va vers l’est, dans la Combraille, le bassin de Gouzon, on a de moins en moins de précipitations. Trois cours d’eau principaux en sont les premiers témoins chaque année : le Cher, la Tardes et la Voueize.@Bruno Barlier

« On flirte encore avec les niveaux minima annuels sur l’est. Début octobre, la Tardes et la Voueize étaient en assecs », rappelle Philippe Triboulet. Les relevés piézométriques (1) du mois d’octobre ne sont guère mieux qu’en 2019, « et pourtant il a plu, mais les nappes ne se rechargent pas, c’est assez édifiant… »

Et le dérèglement climatique bouleverse toutes certitudes et toutes prévisions. 

« Aujourd’hui il pleut, certes, on annonce de l’eau encore pour les quinze prochains jours mais il faut se souvenir que l’on n’est pas à l’abri de se retrouver avec des températures élevées cet hiver, aucune pluviométrie et même s’il n’y a plus de restrictions, d’entamer l’année sur une sécheresse avec des ressources au plus bas »

Philippe Triboulet en appelle également à davantage de « sobriété » dans la façon dont nous consommons l’eau.

« Dans les années à venir, on peut se dire que ça ne va pas aller en s’arrangeant donc cette ressource, il faut la protéger et l’économiser. Il faut y être sensible, au quotidien. Auparavant, on faisait certains gestes par souci d’économie financière, maintenant il faut aussi le faire par écologie, pour la protection d’une ressource. La finalité, c’est que l’on puisse vous comme moi, avoir de l’eau au robinet et encore ce matin [le 9 novembre N.D.L.R.] les élus du Grand Guéret, par exemple, disaient que la situation était encore tendue. Ils sont encore obligés de pomper sur la Gartempe… » 

La préfecture s’appuie sur diverses observations et critères pour déclencher les différents niveaux d’un arrêté sécheresse. Mais quels sont-ils exactement ?

Les arrêtés sécheresse comprennent quatre niveaux : la vigilance qui englobe uniquement des actions de communication, d’information et de sensibilisation ; l’alerte qui déclenche les premières restrictions d’usage de l’eau ; l’alerte renforcée qui impose des restrictions d’usage plus fortes et enfin la crise qui augmente au maximum la sévérité des restrictions.

@ Corentin Garault

Ils peuvent s’appliquer indépendamment sur chacun des cinq bassins-versants qui composent la Creuse (Creuse amont, Creuse aval, Cher, gérés au niveau départemental, Vienne piloté par la Haute-Vienne et Dordogne, piloté par la Corrèze). 

Chaque année, en début de saison, des arrêtés cadre départemental et interdépartemental (2) sont définis par la préfecture pour fixer les conditions et les seuils à franchir pour basculer dans les différents niveaux d’arrêté sécheresse. Elle s’appuie également désormais sur un guide national paru en mai 2023.

On y retrouve des éléments multifactoriels comme la tension sur les réseaux d’eau potable, la taille et perspectives des ressources souterraines, la météo, la situation du milieu aquatique ou encore le débit de cours d’eau sentinelles via le réseau Onde porté par l’OFB.Carte de la Creuse en crise sécheresse, arrêté du 31/07/2023

Elle s’appuie également sur le relevé régulier de huit stations hydrologiques de référence réparties sur les bassins-versants Creuse amont, Creuse aval et Cher (3) qui possèdent chacune des niveaux propres correspondant à un seuil de vigilance, d’alerte et de crise.

« Dès lors que quatre des huit stations franchissent un de ces seuils pendant au moins trois jours, on déclenche un niveau de l‘arrêté sécheresse, explique Philippe Triboulet. Pour rebasculer dans un arrêté moins restrictif, il faut que pendant cinq jours d’affilée, 50 % de ces huit stations soient revenues à un seuil inférieur. »

(1) Les relevés piézométriques mesurent la profondeur de la surface de la nappe d’eau souterraine.(2) Avec la Haute-Vienne et la Corrèze pour deux bassins-versants.(3) Il y en a onze au total en Creuse en comprenant celles sur le Thaurion la Vige et la Diège.

Texte : Julie Ho Hoajulie.hohoa@centrefrance.comPhotos : Bruno Barlier, Corentin Garault, Floris Bressy et Daniel Lauret