"Un étouffement démocratique avec l'usage à répétition du 49.3", déplore le député du Puy-de-Dôme André Chassaigne
L'échec de la Nupes, le 49.3, ses intentions pour améliorer les conditions de travail des employés saisonniers agricoles, qu'il appelle "les invisibles de la République", et les retraites des commerçants et des artisans... Quinze mois après sa réélection, on fait le point avec le député du Puy-de-Dôme André Chassaigne.
Que retenez-vous de cette première année de mandat ?
"C'est un mandat beaucoup plus difficile à gérer pour le président de groupe que je suis dans la mesure où il n'y a pas de majorité absolue. Il y a donc potentiellement la possibilité de faire passer des amendements avec une majorité de circonstance : ça a pu fonctionner lors de niches parlementaires, par exemple en mai avec une proposition de loi destinée à protéger EDF d'un démembrement, mais ça reste exceptionnel. C'est possible uniquement dans la mesure où on arrive à un vote qui n'est pas confronté au 49.3..."
Le 49.3 a déjà été utilisé à dix-sept reprises. Vous vous y habituez ?
"Il y a un étouffement démocratique avec l'usage à répétition du 49.3. Non, on ne s'y habitue jamais. C'est un acte de faiblesse du gouvernement, d'autant qu'il l'utilise sur des textes qui sont sans doute les plus importants du travail parlementaire. C'est le refus d'admettre qu'il n'y a pas de majorité absolue."
L’atmosphère est bien plus électrique à l’Assemblée nationale : est-ce la faute de ces 49.3 à répétition ? Du comportement de certains députés ?
"C'est la conséquence d'une façon de faire, d'une forme d'arrogance du gouvernement, on l'a vu notamment pour la réforme des retraites. Ce comportement déclenche des réactions de violences verbales."
Mais c'est aussi lié à une nouvelle culture politique : avoir des propos violents, sans nuances, d'une certaine brutalité, ce sera relayé par les réseaux sociaux. A mon avis, ça dénature le travail parlementaire. C'est mon cinquième mandat, et je n'ai jamais connu cette façon de faire. C'est même difficile à vivre.
Vous appelez depuis quelques mois à faire évoluer l’union de la gauche. Pourquoi la Nupes n'a pas fonctionné ?
"Comme député communiste, je partage effectivement le texte voté par le conseil national du Parti communiste qui dit que la Nupes est une impasse et ne permettra pas de renverser la vapeur. Il faut élargir cette union et ne pas s'enfermer dans des comportements sclérosants. Il faut que l'on se place dans une union de partis de gouvernement et non en simples opposants.
Toutefois, comme président d'un groupe qui ne compte pas seulement des communistes, je n'ai pas rompu le lien avec les autres partis de gauche, même si ce n'est plus le même fonctionnement que la première année. Il faut que l'on puisse travailler ensemble et éviter qu'un groupe soit hégémonique et impose ses désidérata, comme a pu le faire la France Insoumise. Des engagements, notamment lors de la réforme des retraites, n'ont aussi pas été respectés par LFI, qui a tout fait pour bloquer le débat. Il faut que l'on continue de travailler en commun mais sous une autre forme, et en respectant les engagements."
L'agriculture est toujours au cœur de votre travail à l'Assemblée...
"D'abord, ma devise est toujours la même : être utile. Le premier étage, c'est que je considère que c'est une priorité de conserver un ancrage sur le territoire, dans ma circonscription. Ce travail de terrain, c'est mon ADN. Le deuxième étage, c'est donc de porter des propositions de loi ou des rapports. J'ai beaucoup travaillé ces derniers mois sur l'agriculture, par exemple en obtenant des améliorations aux textes de loi sur les retraites agricoles (dits loi Chassaigne). Il y avait des trous dans la raquette : 45.000 personnes n'avaient, par exemple, pas droit à cette revalorisation de leur retraite car cette augmentation était conditionnée à une carrière complète et ne tenait pas compte des inaptitudes au travail ou des invalidités."
Je prépare aussi depuis cinq mois un rapport sur l'application du Plan stratégique national (PSN) de la Politique agricole commune (PAC). Je vais aussi, dans les prochaines semaines, déposer une proposition de loi sur les employés saisonniers agricoles, que j'appelle les invisibles des temps modernes. Ils sont 1,2 million en France. Le but est de faire en sorte qu'on améliore leurs conditions de travail et d'accueil.
Quels autres dossiers portez-vous actuellement ?
"J'ai cosigné une proposition transpartisane sur la désertification médicale, pour faire en sorte d'avoir des mesures plus contraignantes pour favoriser l'installation de médecins dans des territoires sous-dotés, sans aller jusqu'à l'obligation. Je vais aussi bientôt boucler une proposition de loi sur les retraites des commerçants et des artisans : c'était un engagement que j'avais pris durant la campagne.
Enfin, j'ai travaillé sur le recrutement des professeurs, proposé de revenir sur Parcoursup qui crée énormément d'inégalités, ou encore sur le transfert programmé pour 2026 de la compétence eau et assainissement aux intercommunalités, qui n'a pas de sens à mes yeux. Avec mon suppléant Julien Brugerolles, on va aussi lancer une réflexion collective dans la circonscription sur la vie associative, où il y a un gros essoufflement."
Des préoccupations dans votre circonscription de Thiers-Ambert ?
"Il y a d'abord d'immenses sujets de satisfaction au niveau économique et en termes d'emplois, avec l'arrivée de Van Cleef & Arpels et la nouvelle usine d'Omerin. Mais il y a aussi des inquiétudes qui pèsent sur Euroapi, à Vertolaye, où il y a une baisse importante de l'activité. Elle se manifeste par la suppression de plusieurs dizaines de postes d'intérimaires et le non-renouvellement de CDD. Je suis aussi toujours inquiet pour les urgences d'Ambert."
Vous deviez aussi passer la main cet automne à la présidence du groupe Gauche démocrate et républicaine - Nupes...
"C'est effectivement repoussé. La situation politique est un peu difficile et les ultramarins, qui composent une partie du groupe, sont attachés à ma candidature. L'âge est à leurs yeux synonyme de sagesse. Je passerai la main avant la fin du mandat, c'est certain, mais ce ne sera désormais pas avant l'automne 2024."
Propos recueillis par Arthur Cesbron