"Nos jeunes pourraient mourir plus tôt que nous !" : une médecin démissionne pour alerter sur la sédentarité des ados
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Médecin conseiller en Bretagne, Sophie Cha a décidé de démissionner. Une façon pour elle de dénoncer « l’inertie » des pouvoirs publics face à l’inquiétante chute des capacités physiques des jeunes.
« Horripilant », « catastrophique », « pathétique »... Au moment d’expliquer les raisons qui la poussent à jeter l’éponge, Sophie Cha ne manie pas la litote. Elle part, dit-elle, avec un « mélange de colère et d’amertume ».
Cette médecin biologiste de formation, ex-virologue au CHU de Rennes, est devenue en 2016 la représentante du ministère des Sports en Bretagne (*). Sa mission principale ? Piloter la déclinaison régionale du plan national « Sport santé bien-être », en partenariat avec l’ARS. Mais après « cinq-six années » inaugurales « très positives », marquées par « une réelle liberté de travail et d’initiative », le poste de Sophie Cha a été rattaché au ministère de l’Éducation nationale.
« À partir de là, tout ce que l’on avait mis en place en direction des jeunes scolaires a fait l’objet d’un désintérêt, voire d’une obstruction de la part du rectorat, grince-t-elle. Au même moment pourtant, Emmanuel Macron faisait la tournée des collèges pour dire qu’il fallait plus de sport dans les établissements. Comme souvent en France, il y a un fossé énorme entre ce que l’on dit et ce que l’on fait. »
"Effondrement de la condition physique"La décalage l’irrite d’autant plus que sur le terrain, les signaux alarmants se multiplient. De visite en visite, la praticienne a vu s’accumuler les témoignages de profs d’EPS et d’entraîneurs de clubs effarés par « l’effondrement de la condition physique » des ados.
« Ils sont essoufflés dès qu’il faut courir une minute ou marcher un quart d’heure, ils n’arrivent plus à faire des roulades en gym. Autre exemple très parlant : un enseignant qui consigne les résultats de ses collégiens au lancer du javelot m’expliquait que les performances moyennes avaient chuté de façon significative ces dernières années. »
Ces observations « empiriques » sont confortées par de nombreuses études scientifiques. Des données publiées en novembre 2019 dans The Lancet montraient ainsi que « 87 % des jeunes Français de 11 à 17 ans ne respectent pas les recommandations de l’OMS » pour cette tranche d’âge – soit une heure d’activité modérée à intense par jour. Un déficit abyssal qui place l’Hexagone à un piteux 119e rang sur 146 pays.
Photo La Montagne Brioude
Plus récemment encore, une vaste enquête nationale baptisée « Inverser les courbes », menée fin 2022 auprès de 9.200 élèves de 6e dans quatre académies distinctes, a débouché sur des conclusions tout aussi édifiantes. « La capacité physique des adolescents, déjà faible il y a 35 ans, continue de baisser », résume le collectif Pour une France en forme, à l’origine de ce travail inédit, tout en dénonçant un « tsunami d’inactivité et de sédentarité ».
Illustration : « La vitesse maximale aérobie (VO2 max) mesurée est en moyenne de 10,2 km/h (9,9 km/h pour les filles, 10,4 km/h pour les garçons) », contre 11,4 km/h en 1978, au terme d’une « étude comparable sur un échantillon plus faible ».
Un impact direct sur l'espérance de vie« Tout cela est étroitement lié à l’explosion du temps passé devant les écrans, une tendance encore accentuée depuis le confinement », souligne Sophie Cha, qui s’inquiète des conséquences sanitaires présentes et futures de ces lacunes chroniques.
« L’absence d’activité d’endurance a un impact prouvé sur le capital osseux et le système musculaire. Ce “déconditionnement” provoque également une augmentation régulière chez les ados des cas de diabète de type II, une pathologie autrefois réservée aux adultes. Idem pour l’hypertension ou les lumbagos, dont souffrent désormais certains élèves de primaire. »
Photo Jérémie Fulleringer
De quoi faire redouter à terme, un risque plus grand encore : « On sait que la condition physique et l’endurance prédisent l’espérance de vie, qu’il y ait une maladie associée ou pas. Les jeunes d’aujourd’hui pourraient donc mourir plus tôt que nous. C’est insensé ! »
Face à cette urgence, Sophie Cha se désespère de « la lenteur » et de « l’inertie » des pouvoirs publics.
« Je fais souvent le parallèle avec le dérèglement climatique : on a tous les éléments en main, on sait exactement ce qui va se passer, et pourtant on fait l’inverse de ce qu’il faudrait faire. Au-delà des effets d’annonce et des slogans, la volonté politique n’est pas là. »
Puisque « trop, c’est trop », elle a donc décidé de « dire stop » et de quitter définitivement le service public. Son avenir s’écrira à partir du 1er janvier dans un groupe privé de biologie médicale. Sans renoncer pour autant au combat contre l’inactivité. « Je le poursuivrai autrement, avec des associations et des structures qui sont vraiment dans l’opérationnel et qui mettent des actions concrètes en place », promet-elle. Avec l'espoir, encore, de faire bouger à la fois les corps et les lignes.
Stéphane Barnoin
(*) Médecin conseiller à la Délégation régionale académique « jeunesse, engagement et sport » (Drajes), selon l’intitulé officiel.