Le "chorégraphe des JO" Philippe Decouflé présente ses costumes à Moulins

Le centre national du costume et de la scène (CNCS) consacre sa nouvelle exposition aux univers du fantasque et créatif chorégraphe Philippe Decouflé. On lui doit notamment la folle cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques d’Albertville en 1992. Un tournant dans sa vie et celle de sa compagnie. Et sans doute aussi pour la danse contemporaine qui a bénéficié d’une vitrine de choix. « Let’s dance » à Moulins, en mode « underground » et en mode JO. Ça décoiffe, dès aujourd'hui et jusqu’au 5 janvier 2025.

Sous une pluie de flocons, le centre du costume et de la scène plonge les visiteurs dans l’ambiance des JO de 1992. Le CNCS consacre sa plus grande et dernière salle à l’événement, resté dans les annales pour sa créativité sans borne.

Le chorégraphe Philippe Decouflé confie que ce fut quelque chose, cette folle entreprise, à laquelle il a consacré « un an et demi », avec une équipe de copains. Il a dit « oui tout de suite » quand on lui a proposé d’orchestrer la cérémonie des Jeux olympiques d’Albertville avec ces consignes : « Les couleurs, la jeunesse, le dynamisme de la France et la pureté du geste sportif ».Philippe Decouflé.

Au-delà, la liberté : « On avait des moyens, qui nous ont permis d’explorer plein de choses. Je me souviens, dans l’atelier d’Aubervilliers, chaque semaine, c’était un nouveau terrain de jeu. On était jeunes et curieux ! On a eu une semaine d’hélium où le costumier Philippe Guillotel essayait de faire voler des costumes, une semaine de roulements à bille, pour voir comment faire rouler la robe sans faire rouler la danseuse, une semaine de plumes… C’est comme ça qu’on a pu créer par exemple un costume crécelle, qui fait tac tac tac, quand les bras vont de haut en bas ».

Philippe Decouflé se souvient des propositions “système D” : « Le costume à “pouets”, c’est un bricoleur amateur de “pouets” depuis son enfance qui l’a conçu avec des objets chinés aux puces. Aujourd’hui, avec des impressions 3D, on peut faire des choses très belles et c’est peut-être ce que je ferais… mais je reste conquis par le charme de l’artisanat ».

Les JO de 92, ce fut « le pic de ma carrière. J’avais 30 ans, j’étais encore un artiste underground. Je n’étais pas préparé à ça. Après, j’ai été très sollicité. Je me suis tout d’un coup retrouvé “artiste populaire”. Alors que la danse était vue plutôt comme “ennuyeuse”, les gens venaient nous voir pour des spectacles divertissants et tout public. Je ne voulais pas les décevoir, ça m’a emmené dans cette direction. Autrement, cela n’aurait sûrement pas été pareil ».

L’homme n’a pas pour autant arrêté de chercher dans le mouvement, dans les corps, un moyen d’expression, augmenté par les costumes, dotés de trucs en plus. Le CNCS revient sur quarante ans de carrière. Philippe Decouflé (et sa bande) ne peut pas se résumer aux JO. La compagnie DCA, pour « diversité, camaraderie, agilité », semble s’être beaucoup amusée depuis le début des années 1980 sur tous ses projets. Inventer, expérimenter ! Ainsi ce costume-tuyaux : « Il faut imaginer trois personnages dont les bras sont de longs tuyaux, qui se connectent et se déconnectent pour former des corps accordéons ».

Decouflé, qui signe cette année deux nouveaux numéros pour le Crazy Horse, joue sur le nu et le strip-tease, quitte à le détourner : « Dans Triton 2ter, en 1999, les ouvreuses aux faux seins lumineux étaient dans un premier temps habillées d’un manteau à quatre bras, qu’elles enlevaient. Elles se retrouvaient finalement “à poils”, dans un costume… vraiment à poils ».Seins lumineux.

Dans Codex, on regarde des microbes au microscope : « On a projeté sur les danseurs des films 7 mm dont la pellicule a été grattée, et cette lumière crée un frétillement très microbien ! ».Microbe !

Dans Sombrero, des manteaux en papier prennent une patine de cuir grâce au costumier Jean Malo.

« Un costume de danse parfait, c’est un costume relativement peu gênant qui peut se plier quand on prend quelqu’un dans ses bras », estime Philipe Decouflé. « Celui-là, en mode filet de pêche imaginé par Philippe Guillotel est léger, en cordes de piano. Il permet de modifier le corps tout en sublimant le mouvement et la ligne des jambes ».le "filet de pêche".

La costumière Laurence Chalou va jusqu’en Belgique pour trouver l’artisan qui va pouvoir lui faire des carrés en tricot avec des motifs géométriques dans Nouvelles pièces courtes (2017). Le tricot dans les costumes ? « Les costumiers pensent à des matières sur lesquelles le public ne miserait pas. Et pourtant ! », s’exclame le commissaire de l’exposition Philippe Noisette. Le film de la chorégraphie, diffusé en arrière-plan, a été tourné dans le parc de la Vanoise.Tricot.

Philippe Decouflé a eu des périodes « plus ou moins habillées », souligne Philippe Noisette. Ici, dans Iris/Iiris, il revient à la sobriété, au body, au dépouillement. Quoique : les organes internes sont brodés, de vraies œuvres d’art !

On ne se lasse pas de l’inventivité des pros de la scène.

Planète(s) Decouflé, jusqu’au 5 janvier 2025. Le CNCS à Moulins, est ouvert tous les jours de 10 à 18 h (sauf le 25 décembre et le 1er janvier). Entrée de 5 à 9 € ; gratuit -12 ans. www.cncs.fr ; 04.70.20.76.20.

Autour de l’expo : spectacles, projections et conférences, à réserver sur cncs.tickeasy.com.

Mathilde Duchatelle

Photos : Séverine Trémodeux