En Angleterre, Luton veut célébrer sa diversité, en plein débat sur l'immigration
Située à une quarantaine de kilomètres au nord-ouest de Londres, Luton est une des rares cités britanniques où la population est majoritairement non-blanche, selon le dernier recensement.
Environ un tiers de ses 230.000 habitants sont musulmans.
Le militant anti-islam au passé de hooligan, Tommy Robinson, de son vrai nom Stephen Yaxley-Lennon, et l'influenceur de la "manosphère" Andrew Tate y ont grandi. Tous deux ont critiqué son déclin industriel et sa diversité.
Tommy Robinson, en particulier, a dénoncé "l'influence de l'idéologie islamiste" dans une ville où ont vécu plusieurs jihadistes impliqués dans des attaques au Royaume-Uni ou à l'étranger.
Nombre de ses habitants rejettent aujourd'hui ce discours.
"Cette énergie et cet esprit haineux qui viennent de Tommy, d'Andrew (...), cela ne représente absolument pas Luton", assure Glenn Jenkins, 62 ans, que l'AFP a rencontré dans le lieu communautaire qu'il a fondé dans un ancien bâtiment désaffecté.
Abritant notamment un studio de musique et un café, il se trouve près de Marsh Farm, un ensemble de logements sociaux où Andrew Tate, né d'un père afro-américain et d'une mère anglaise, a passé sa jeunesse et qu'il a qualifié de "pire quartier de la pire des villes".
"Atelier de paix"
Mais pour Glenn Jenkins, le multiculturalisme de Luton "est un de ses trésors".
"Nous avons de gros problèmes ici, des pénuries de logements. (...) Tommy et Andrew et tous les autres arrivent en disant +c’est la faute des immigrés+. Pour moi, ils trahissent la classe ouvrière".
Capitale de la fabrication de chapeaux au XVIIe siècle, Luton, le berceau de Vauxhall, a prospéré grâce à l'automobile.
Son aéroport pour compagnies à bas prix et sa proximité de la capitale entretiennent son dynamisme mais certains de ses quartiers figurent parmi les plus défavorisés du pays.
Tommy Robinson s'y est fait connaître en fondant en 2009 la Ligue de défense anglaise (EDL), une formation d'extrême droite, en réaction à une manifestation d'un petit groupe islamiste local pendant un défilé de soldats britanniques de retour d'Irak.
Les années suivantes, des heurts sporadiques entre l’EDL, aujourd'hui dissoute, des contre-manifestants et la police, ont entaché la réputation de Luton.
Aujourd'hui, Tommy Robinson mobilise à Londres, où il a rassemblé plus de 100.000 personnes en septembre pour la plus grande marche d’extrême droite jamais organisée au Royaume-Uni.
A Luton, où vivent des communautés d'origine irlandaise, est-européenne et asiatique, les élus - cette cité est depuis longtemps dirigée par le Parti travailliste (centre gauche) - et les responsables locaux affirment avoir travaillé dur et avec un certain succès pour renforcer la cohésion entre elles.
"Nous sommes un atelier de paix", souligne auprès de l’AFP Peter Adams, un membre laïc de l'église St Mary’s depuis près de deux décennies.
Maire LGBT
La maire trentenaire de Luton, Amy Nicholls, élue en 2023, est la première issue de la communauté LGBT+.
Mais le parti anti-immigration Reform UK de Nigel Farage, qui domine dans les sondages nationaux, a failli remporter une récente élection locale partielle.
Il a mis en avant dans sa campagne l'immigration irrégulière et l'inquiétude qu'elle soulève chez certains qui se sentent "laissés pour compte", reconnaît Aslam Khan, un ancien élu local travailliste devenu conservateur.
Mais il a aussi "diabolisé certaines communautés", déplore ce musulman d'origine pakistanaise.
Il espère que différents projets de relance économique, comme la rénovation du centre-ville, vantée sur des panneaux publicitaires près de la gare, et la reconversion de l'ex-usine Vauxhall, permettront de contrer les arguments de l'extrême droite.
Tricia, 75 ans, dont la famille vit à Luton depuis des générations, est loin d'être convaincue.
"On a l'impression d'être des étrangers dans notre propre ville", confie-t-elle à l'AFP, devant le monument aux morts de la Première Guerre mondiale sur lequel s'affichent les noms de ses proches.
"Je pense que les Anglais sont tout simplement évincés, partout dans le pays", ajoute-t-elle.
"Je connais des gens qui adorent Tommy (Robinson) et ce sont mes amis et mes frères, j’ai grandi avec eux. Mais ils sont minoritaires", veut pourtant croire Glenn Jenkins. A Luton, "les gens franchissent les barrières culturelles chaque jour", assure-t-il.
