La Moldavie s'enfonce dans une crise politique semblant sans issue
Colère contre la corruption des élites, rejet des man?uvres des oligarques et, en arrière-plan, compétition géopolitique entre la Russie et l'Europe: la Moldavie s'enfonce dans une complexe crise politique qui semble sans issue.
Vendredi, des dizaines de milliers de personnes ont défilé dans les rues de la capitale, Chisinau, pour réclamer des élections anticipées deux jours après la nomination d'un troisième gouvernement en moins d'un an.
L'approbation de celui-ci par le Parlement, mercredi, avait déjà provoqué la fureur des manifestants, qui avaient tenté d'envahir le parlement pour mettre fin à la cérémonie.
Mais ces manifestations ne sont que les derniers épisodes d'une crise politique qui secoue la Moldavie, pays pauvre de 3,5 millions d'habitants, depuis l'annonce début avril de la "disparition" du système bancaire de près d'un milliard de dollars (915 millions d'euros), soit 15% du produit intérieur brut (PIB).
Ce scandale, qui avait déclenché les premières manifestation d'ampleur, a mené à l'arrestation en octobre de l'ancien Premier ministre Vlad Filat, soupçonné d'avoir détourné 250 millions de dollars.
"De facto, le pays n'a pas été gouverné l'an passé et la corruption a augmenté", explique à l'AFP Nicu Popescu, de l'Institut d'études de sécurité de l'Union européenne.
"Cela a mené à une frustration significative et à un rejet des classes gouvernantes, que cela vienne des parties pro-européennes ou eurosceptiques de la population", ajoute-t-il.
Car la Moldavie, nichée entre l'Ukraine et la Roumanie, est souvent vue comme un terrain d'affrontement entre l'Union européenne et la Russie, notamment depuis l'adoption d'un accord d'association avec l'UE en 2014 ayant provoqué la colère de l'ancien maître russe.
Le pays est composé à 78% d'une population ethniquement roumaine, les minorités russe et ukrainienne représentant environ 14%.
Pourtant, les récentes manifestations ont vu défiler côte à côte pro-européens et pro-russes, de droite comme de gauche, accusant la majorité actuelle d'utiliser sa rhétorique pro-européenne pour camoufler sa corruption.
"Nous avons décidé de nous tenir ensemble, à l'unisson contre ce régime criminel", a déclaré vendredi l'avocat Andreï Nastase, qui a pris la tête du mouvement de protestation avec la Plateforme civile DA ("Dignité et justice").
"Nous avons abandonné les drapeaux et les symboles des partis. Nous n'avons qu'une demande: le retour de la démocratie dans le pays", a-t-il ajouté.
- Un milliard volé -
"Le milliard volé a été la pire confirmation possible de ce que les gens soupçonnaient: l'absence d'intégrité de la classe politique", reprend Nicu Popescu.
Les manifestants concentrent désormais leur colère sur la figure controversé de l'oligarque Vlad Plahotniuc, considéré comme l'éminence grise de la politique moldave et accusé de tirer les ficelles du nouveau gouvernement.
"La meilleure chose que pourrait faire ce gouvernement, ça serait de démissionner", assure une économiste de Chisinau, Elena Gorelova.
"La nomination du nouveau gouvernement a intensifié la crise politique en Moldavie. Et ce n'est pas une crise entre différents groupes politiques, c'est une confrontation entre le peuple et les autorités", ajoute-t-elle.
Et la situation n'est pas prête de s'arranger, les leaders de l'opposition ayant appelé à de nouvelles manifestations dimanche et assuré qu'ils n'abandonneraient pas leur combat jusqu'à l'organisation de nouvelles élections.
Mais celles-ci, qui bénéficieraient aux partis pro-russes, ne règleraient pas une crise politique nécessitant des réformes profondes, assurent les analystes.
"Les perspectives de la Moldavie sont mornes et très incertaines", explique ainsi l'analyste David Dalton, de l'Economist Intelligence Unit.
"Ce dont le pays a besoin, c'est une large mobilisation sociale rassemblant la partie progressiste des élites politiques, financières, industrielles ou étatiques, pour pousser à des réformes institutionnelles... En clair, une révolution politique et sociale".