Europe de Schengen: la revanche de l'Empire Ottoman
Progressivement, l'Allemagne d'Angela Merkel a tout lâché
Son âme. Sa politique. Une vision politique. Combattant "l'envahisseur russe" en Ukraine pour mieux prendre le contrôle de son économie, elle n'est pas offusquée que l'ancien Chancelier Gehrard Schröder soit toujours, malgré la Crimée, malgré le Dombass un des intimes du Président russe, un acteur clef des relations entre l'Allemagne et la Russie et le patron indéboulonnable du consortium chargé du projet de gazoduc Nord Stream en mer Baltique. Imaginez que Nicolas Sarkozy ait pris la tête d'une des plus grandes banques russes ou d'un groupe russe de construction aérospatiale sous le prétexte que la France et la Russie y développent des synergies... Ne dites pas "bizarre", vous seriez taxé d'étroitesse d'esprit et de germanophobie.
Il est vrai qu'Angela Merkel parle russe couramment et que Vladimir Poutine aime s'entretenir avec elle. La chancelière n'est-elle pas un pur produit de l'éducation soviétique? Qui plus est, n'a-t-elle pas été élevée dans un milieu qui prônait le respect des valeurs luthériennes, celles qui appellent les peuples au respect des princes? Ecouterons-nous ces voix qui laissent entendre que le père de la chancelière n'était pas un ennemi des princes soviétiques. Tout au plus retenons que, par son éducation, Angela Merkel n'est pas une "amie de la liberté" au sens où elle aurait risqué sa peau pour elle! Pourquoi, revenir sur un "profiling" que nous avions détaillé dans des publications antérieures? Parce que tout est ambigu dans l'attitude politique de la Chancelière!
Tout est ambigu car elle n'a jamais partagé les valeurs qui ont fondé tous les combats des Européens contre la dictature et les monstruosités allemandes du régime nazi. Tout est ambigu car, au nom d'une real-politik singulière Angela Merkel accepte de discuter en tête-à-tête, excluant au besoin les autres européens, avec un Président Turc qui la méprise cordialement et qui considère l'Europe comme "géant au pied d'argile". A raison! Ne serait-ce que parce que le grand pays européen, l'Allemagne, est capable "d'oublier" les avanies turques.
"L'assimilation est un crime contre l'humanité" déclarait Erdogan à Cologne en 2008. Et devant un public de 16000 personnes dont la majorité étaient des immigrés turcs, il appelait à la création d'école de langue turque en Allemagne. Quelques commentateurs allemands, sans craindre le risque de passer pour des turcophobes (une version subreptice de l'Islamophobie) avaient aussitôt dénoncé la création d'une "mini-Turquie" en Allemagne!
Hélas pour l'Allemagne, le temps n'est plus au "lebensraum" et, dans quelques temps, les seules légions qu'elle pourra lever seront constituées de vieillards au bras un peu flasques. Hélas pour l'Allemagne, les besoins en main d'œuvre seront considérables dans les années à venir. D'ores et déjà, l'immigration turque... et Kurde se traduit par la présence dans les écoles d'une part de plus en plus importante d'enfants de seconde génération (50% des naissances). Hélas, encore, cela ne suffit plus. Il faut faire venir davantage de travailleurs. D'où l'appel de la Chancelière aux réfugiés syriens. Un million. Davantage encore, très probablement. L'Allemagne attire par son marché du travail tendu, par son niveau de vie, par ses belles villes et l'image de liberté qu'elle a su présenter au monde entier. Angela Merkel ne pouvait pas passer à côté de cette opportunité.
La tête des Turcs est toujours bonne
Et s'il faut se faire violence, la Chancelière lèvera les yeux au ciel, fixement ("keep stiff the upper lip", lui avait recommandé sa mère), elle en a pris l'habitude et ne s'émeut pas quand le Président Erdogan lance: "Dans un système unitaire (comme la Turquie) un système présidentiel peut parfaitement exister... Vous en verrez l'exemple dans l'Allemagne d'Hitler". C'était un 31 décembre 2015. Angela Merkel a certainement pensé que cette opinion ne concerne que la Turquie et l'organisation de l'Etat turc, affaires intérieures par excellence. La Chancelière s'est souvenue des leçons paternelles sur l'autre joue qu'on tend. Donc, elle tend toutes les joues qu'elle a!
La Turquie doit être ménagée pour sa capacité à empêcher les moyen-orientaux de tous poils de répondre à l'appel mal calculé de la Chancelière. Ils se sont lancés sur les routes pareil à la croisade des pauvres gens qu'un illuminé déclencha et qui vit partir, en sens inverse des dizaines de milliers de malheureux, pour bouter le musulman hors de la sainte ville de Jérusalem. Dès qu'on annonce du beau, du bon et du bien, des milliers de gens se précipitent. C'est humain. Mais c'est encombrant. Au XIème siècle, on étripait, on exterminait, on massacrait et la procession perdait en masse et en intensité. Dix siècles plus tard, on s'est civilisé. On ne peut plus terroriser les foules pour les empêcher de se déplacer. Il faut faire autre chose.
Les Turcs, voilà la solution! Angela est allée demander à la Sublime Porte de fermer quelques battants et de clore ses frontières aux moyen-orientaux qui, pour des raisons pas toujours très nettes, veulent quitter leurs pays pour l'Allemagne de cocagne. Il faut dire que pour passer de la Turquie à l'Allemagne, il faut essuyer ses pieds sur quelques confettis d'Etats, du genre Hongrie, Autriche, Tchéquie, Slovaquie, Macédoine. On dit qu'ils en ont assez d'être considérés comme les paillassons de l'Allemagne.
Alors on négocie. Les Turcs avisés, se sont avisés que l'Allemagne était riche et qu'elle appartenait à un ensemble de pays nommé par dérision "Union européenne" eux aussi riches, pas autant que l'Allemagne mais plus que la Turquie. Donc, la Turquie a demandé (ou exigé, on ne sait plus) que lui fussent versés des milliards d'euros et puis, à y réfléchir de plus près quelques autres milliards pour compléter. Et puis, les Turcs ont aussi fait une demande un peu moins monétaire, un peu plus humaine, politique même, avec ce soupçon de passéisme qui va bien à ce beau pays.
Ils ont demandé que les Turcs bénéficient des avantages de la bonne Europe: Schengen pour tous les Turcs sans restriction. Autrefois, on évoquait l'octroi du statut de "francs bonshommes". Aujourd'hui, on dit simplement "Schengen". Donc les Turcs pourraient recevoir la permission de se sentir chez eux en Europe comme Allah en Allemagne.
Le 12 septembre 1683, sur la colline du Kahlenberg, fut mis fin au second siège de Vienne par les Turcs. La bataille fut un théâtre de gloire pour un célèbre Polonais: le roi Jean Sobiesky. Cette défaite décisive des Ottomans mit fin à la menace qu'ils faisaient peser sur l'Europe centrale. Le déclin ottoman débutait. Il ne faudra qu'un peu plus de deux siècles pour réduire l'empire.
En 2016, Angela Merkel, rompt enfin la malédiction: la défaite ottomane ne sera plus qu'un souvenir. En 1683, les Allemands du Nord n'avait rien fait pour défendre Vienne et l'Occident et les Allemands de l'Est encore moins et Vienne avait été sauvée par un Polonais. En 2016, la frontière européenne est ouverte aux Turcs par une Allemande venue de l'Est avec la complicité d'un Président Polonais.
Pascal Ordonneau - Le retour de l'Empire Allemand ou le Modèle Imaginaire chez JFE éditions.
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