Génocide rwandais aux assises: les enfants "tailladés" de Marie Mukamunana
"J'ai perdu mes sept enfants". Aux assises de Paris, Marie Mukamunana raconte le fracas des grenades et la lame silencieuse des machettes qui "taillaient sans s'arrêter" dans l'église du village rwandais de Kabarondo ce 13 avril 1994.
Pull blanc sur un pagne coloré, cette paysanne tutsi de 55 ans est le dernier témoin de la journée, vendredi soir. Les jurés se sont redressés sur leur siège, la salle est saisie. Trois semaines après le début du procès de deux anciens bourgmestres accusés d'avoir pris part aux massacres dans leur commune, le génocide est là.
En sortant de l'église, son aîné, qui la tenait par l'épaule, a le premier reçu un coup de machette. "Je me suis retournée et j'ai vu qu'on lui assenait encore des coups. Avec les autres enfants, on s'est assis. On nous a fait mettre sur les genoux. On a tous reçu des coups de machette et on s'est écroulé". Les plus petits avaient entre 2 et 7 ans, les aînés, d'un premier lit de son mari, 16 et 17 ans.
D'une voix douce et chantante, Marie Mukumunana dit que "la douleur physique est passée mais que le chagrin est là". Elle, malgré les éclats de grenade, les coups de machette sur les bras, les pierres sur le visage et le crâne, est vivante. Son mari est mort dans l'attaque.
Elle était arrivée le 9 avril à l'église de Kabarondo, trois jours après l'attentat contre l'avion du président hutu Juvénal Habyarimana, dont l'assassinat fut le signal déclencheur du génocide perpétré qui fit 800.000 morts en cent jours à travers le Rwanda en 1994.
Sa famille fuyait la commune de Kayonza où les massacres commençaient. Au matin du 13, l'église de Kabarondo est bondée. Plus de 3.500 personnes, selon l'abbé, s'y entassent, des Tutsi mais aussi des Hutu venus de tous les villages alentour.
- "Ne gaspillez pas les balles"-
Les hommes appelés à une réunion sur la place du marché reviennent en hurlant, portant des blessés, après avoir été attaqués à la grenade par des miliciens hutu Interahamwe. Il est un peu plus de 09H00. Très vite, des militaires leur tirent dessus, jettent des grenades. "On s'est couché sur les enfants pour les protéger". Les tirs ne cessent que vers 17H00, quand les miliciens entrent dans l'église.
"Les militaires ont demandé à ceux qui pouvaient marcher de se lever et de sortir. Ils étaient trois à la porte, avec des machettes et des gourdins. Une partie d'entre nous a atteint l'extérieur, les autres ont été découpés".
Dans l'église, sanctuaire inviolable pour les Tutsi lors des précédents pogroms, "les Interahamwe restent pour achever les blessés". A l'extérieur, le tri s'organise. On sépare les Hutu des Tutsi, sur présentation de la carte d'identité, où l'ethnie figurait. "Quand on n'avait pas nos papiers, ils disaient: +vous êtes des Tutsi+".
Puis, "ils se sont mis à nous taillader, à nous tirer dessus. Quelqu'un a dit: +ne gaspillez pas les balles+. Ils ont continué à la machette".
Elle survit. Voit l'église en flammes. Parvient à "se traîner dans la brousse" au milieu de la nuit. "Au réveil, je me suis rendue compte que je ne portais plus rien que ma culotte. Ils m'avaient même dépouillée de mes pagnes". Elle errera plusieurs jours avant de croiser les "Inkotanyi", nom que se donnaient les combattants de la rébellion tutsi.
En sortant de l'église, Marie Mukamunana se souvient d'avoir vu l'ancien bourgmestre Tito Barahira "armé d'un fusil, parmi les Interahamwe". Quant à son successeur, Octavien Ngenzi, elle affirme qu'il "supervisait les massacres".