Liesse et violences, les images fortes du putsch raté en Turquie
Des habitants sur un char à Istanbul après l'échec de coup d'Etat militaire manqué contre le président turc Recep Tayyip Erdogan
le pont du Bosphore à Istanbul, l'épilogue du coup d'Etat raté en Turquie s'est écrit dans la liesse, criée et chantée par les partisans d'Erdogan juchés sur les chars repris aux soldats rebelles, mais aussi le sang, qui a coulé des deux côtés.
Le pont a été le théâtre en miniature de tous les actes du drame qui s'est joué en Turquie depuis vendredi soir, et en a offert les images fortes qui resteront dans les esprits, de la tentative de prise de contrôle du pays par des soldats rebelles à leur déroute.
Dans la nuit des soldats mutins y déploient leurs chars, dans une manifestation de force qui coupe l'une des artères stratégiques de circulation de la métropole turque.
Un calme trompeur s'installe. Mais aux premières heures du jour, les partisans du président Recep Tayyip Erdogan affluent, décidés à faire front en répondant à son appel.
A l'aéroport d'Istanbul, où il a atterri à l'aube, le dirigeant islamo-conservateur est accueilli par une foule en délire, qu'il harangue sous les applaudissements.
Sur le pont, "c'était étrange, ils s'avançaient calmement, comme s'ils n'avaient pas peur", raconte un photographe de l'AFP. Pourtant très vite, les tirs partent du côté des militaires rebelles, et des manifestants sont fauchés.
Des blessés sont évacués par la foule, l'un gît au sol tandis que des compagnons tentent de le réanimer. Un obus tombe. "Il y avait même un sniper, perché sur une pile du pont, qui tirait sur les manifestants", raconte ce photographe.
Les mêmes scènes opposant une foule déterminée à des mutins vite sur la défensive se jouent plus loin sur la place Taksim.
A Ankara, des manifestants bombardent de pierres un char, et réussissent à le faire reculer de quelques mètres. Puis il accélère et les dépasse, écrasant une voiture sur son passage.
Mais peu après, un tankiste est forcé d'émerger de sa tourelle, encerclé par des manifestants qui l'invectivent.
Les mutins cèdent, commencent à se rendre. Ils ont d'abord une poignée, puis des dizaines à s'avancer sur le pont les mains levées, d'un pas hésitant. Les manifestants écartent rageusement du pied leurs casques et armes abandonnés, qui jonchent la chaussée.
- 'Tuez-les' -
Devant la mairie d'Istanbul, la contre-offensive de la police se fait dans la confusion: poussées de la foule, tirs, corps à corps.
Ailleurs, un groupe de militaires rebelles est filmé agenouillé, tandis que des policiers et des civils à l'identité indéfinie, souvent armés, les inspectent. On en voit d'autres, torse nu, la nuque ployée de force, acheminés vers des centres de détention.
Sur le pont comme à Taksim, les chars sont pris d'assaut par des partisans en liesse du régime islamo-conservateur, des hommes pour leur quasi-totalité. Juchés autour des tourelles, ils agitent le drapeau turc rouge frappé du croissant et l'étoile, crient "Allak Akbar".
Certains brandissent la main, les quatre doigts levés, reprenant le signe de ralliement des Frères Musulmans qu'Erdogan affectionne.
Le slogan "Fatullah Gulen est le chien d'Israël" est aussi entonné pour vitupérer contre le rival de l'homme fort de Turquie, à qui il a imputé la responsabilité du coup d'Etat.
Du sang sèche par terre. Mais sur le pont, il coule aussi à nouveau.
"Des gens se sont rués sur les rebelles que la police tentait de dégager en criant 'tuez-les au nom de Dieu' et en les bourrant de coups, et pour certains de coups de couteaux", selon le même photographe de l'AFP.
L'un des militaires est mort lynché sous ses yeux, il ignore le sort d'un autre, gravement tabassé. Les attaquants ne veulent pas de témoins, et s'en prennent brutalement aux reporters sur place, qu'ils menacent même de jeter par-dessus bord.
Mais ailleurs, l'heure est déjà à la détente ce samedi matin, et aux selfies et portraits en rafales devant les chars abandonnés. Les touristes réapparaissent aussi sur la place Taksim, où les festivités se poursuivent.
"C'est la liberté", s'émeut Mon, venue de Syrie. Là-bas "personne n'est descendu dans la rue pour protéger Assad", déplore-t-elle.