Résultat primaire de la droite: Alain Juppé terrassé par la malédiction Clinton
PRIMAIRE DE LA DROITE - "Juppé, c'est un destin tragique", décrétait sans malice un filloniste à la mi-journée. Mort politiquement un jour de décembre 2004 après sa condamnation pour "prise illégale d'intérêt", exilé au Canada, ressuscité dans sa "chère mairie de Bordeaux", redevenu ministre, battu aux législatives et évincé du gouvernement Fillon, à nouveau repêché aux municipales, re-ministre... Après une carrière politique menée à l'allure de montagnes russes, le fils préféré de Jacques Chirac croyait enfin tenir sa revanche avec la primaire de la droite dont il aura été le favori jusqu'à l'avant-veille du premier tour.
Le second tour de ce dimanche 27 novembre est sans appel: battu sèchement par son "ami" François Fillon, Alain Juppé n'est pas parvenu à rattraper son important retard et doit s'incliner. Probablement pour la dernière fois, lui qui a juré qu'il raccrocherait les gants de la politique nationale en cas de défaite.
Une désillusion qui n'est pas sans rappeler celle d'Hillary Clinton à laquelle Alain Juppé s'était un temps comparé. Même détermination, même stature d'homme/femme d'Etat, même CV impressionnant, mêmes difficultés à susciter la passion. Trop vieux pour présider Juppé? "Hillary Clinton a un an de moins que moi", opposait-il quand les deux anciens ministres des Affaires étrangères étaient au firmament des sondages. "Je crois qu'il y a aussi un besoin de solidité, d'expérience, à condition qu'elle soit complétée par l'engagement de la jeune génération", prédisait-il alors, oubliant que le coeur de l'électorat de la primaire, ce sont avant tout les retraités.
Après la défaite de l'ex-première dame américaine, le maire de Bordeaux s'était rebiffé: "Je ne suis pas Hillary Clinton"... Sans modifier d'un espace sa stratégie de campagne concentrée sur Nicolas Sarkozy.
Le bus sarkozyste qui cachait la Ferrari Fillon
Singulier destin que celui de ce chiraquien pur-jus pourtant si éloigné de son modèle. "Rien, a priori, de plus différents que nos deux personnages, écrivait-il lui-même pendant la campagne. Je suis pétri de culture gréco-latine, il ne jure que par l'Extrême-Orient; on me suspecte de distance et de froideur, il a un don pour inspirer la sympathie; je traîne une réputation de technocrate, il est l'incarnation de l'animal politique qui séduit, qui convainc et qui mobilise".
Mobiliser l'électorat de centre-gauche tout en séduisant l'électorat de droite, c'est précisément ce qu'Alain Juppé aura échoué à faire dans ces deux dernières semaines de campagne cauchemardesques où tous les pronostics ont été déjoués. Convaincu qu'il faisait la course en tête, le maire de Bordeaux a mené depuis le début une campagne de second tour, négligeant de frapper ses adversaires pour mieux incarner le rassemblement.
"Ce que je regrette peut-être, c'est, avant le premier tour, de n'avoir pas suffisamment décortiqué le programme de certains de mes concurrents", a-t-il reconnu lui-même. Focalisé sur Nicolas Sarkozy qui le bombardait d'attaques sur son "identité heureuse" et son alliance avec François Bayrou, Alain Juppé a négligé de surveiller la remontée fulgurante de la Ferrari Fillon. "Je ne me suis pas assoupi, j'ai fait une campagne intense mais pas ciblée sur la bonne cible", résume le "bonze de Bordeaux".
Une erreur d'autant plus fatale que l'offensive sarkozyste a dans le même temps contribué à faire émerger le vote Fillon, l'ancien premier ministre s'étant positionné sur un créneau nettement plus radical tout en bénéficiant, lui aussi, du rejet de Nicolas Sarkozy.
Quand il a fallu démontrer que François Fillon était le candidat le plus libéral et conservateur de la primaire, il était trop tard.
La campagne "dégueulasse"
Trop tard également pour dénoncer la campagne de déstabilisation "dégueulasse" menée dans les caniveaux du web et des réseaux sociaux par une fachosphère surmobilisée contre celui qu'elle a rebaptisé "Ali Juppé".
En votant ce dimanche, le maire de Bordeaux a une nouvelle fois fait référence à "cette campagne dégueulasse qui [lui] a fait tant de mal" l'accusant de connivence avec les islamistes. "C'était ignoble de dire que j'étais salafiste", a-t-il poursuivi, dénonçant une nouvelle fois les "calomnies".
Ces détournements infamants le présentant comme le "grand mufti de Bordeaux" et le présentant comme le complice des Frères musulmans auront-elles eu un impact certain sur le scrutin comme les réseaux de l'alt-right américaine ont dopé le vote Trump outre-Atlantique?
Dans l'équipe Juppé, beaucoup ont reçu des retours du terrain parfois accablants. Compte tenu de l'écart entre les deux finalistes de la primaire, il est clair que les rumeurs de déstabilisations ne suffisent pour justifier l'ampleur de la défaite. Chez François Fillon, beaucoup estiment qu'Alain Juppé a surtout oublié une règle essentielle de l'élection présidentielle: "au premier tour, on rassemble son camp".
En fédérant l'électorat centriste contre Nicolas Sarkozy et l'électorat de centre-gauche contre François Fillon, le maire de Bordeaux a joué et il a perdu.
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