Après l'attentat de Berlin, je méprise les agitateurs de peurs aveugles et idiots
Ce témoignage a été écrit le soir même de l'attentat de Berlin, le 19 décembre 2016.
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J'arrive tout juste à la maison. Je viens à l'instant de donner mon petit spectacle de Noël, bien confortablement, au Theater am Kurfürstendamm, à 500 mètres à peine des événements terrifiants de l'Église du Souvenir. J'ai été mis au courant pendant l'entracte, quelques minutes seulement après les faits, alors que personne ne savait encore vraiment ce qui s'était passé.
Et à part quelques experts en conjectures –les dieux du journalisme du quotidien Bild et les je-sais-tout prophétiques du parti Alternative für Deutschland (AfD)*, les gens n'en savent pas beaucoup plus au moment où j'écris ces lignes. Que dire? C'est l'un de ces moments où les mots vous manquent.
Comment être sur scène, face à plusieurs centaines de personnes qui voulaient simplement passer un peu de bon temps et qui découvrent probablement, comme vous, sur leur smartphone, l'annonce de cette horreur? Tandis que, dans le même temps, à quelques centaines de mètres, des sauveteurs et des passants se battent pour sauver la vie d'innocents?
Interrompre la représentation aurait peut-être été plus judicieux
C'est l'une des situations les plus scabreuses et les plus terrifiantes à laquelle un comédien puisse être confronté. Parce ce que, quoi que l'on fasse, on est sûr de prendre la mauvaise décision. Moi, j'ai décidé de rester sur scène. Tout en comprenant très bien tous ceux qui ont préféré s'en aller. Car moi aussi, à la base, j'aurais aimé partir. Tant il est vrai que je n'avais plus le cœur à faire le guignol. Interrompre la représentation aurait peut-être été plus judicieux. A vrai dire, je n'en sais rien.
C'est l'une des situations les plus terrifiantes à laquelle un comédien puisse être confronté.
Toujours est-il que je me suis décidé à continuer le spectacle. Une décision bonne, ou mauvaise, ou entre-les-deux. Ce qui a compté pour moi à ce moment-là, c'était que nous ne savions pas encore tout à fait (et nous ne savons d'ailleurs toujours pas) qui était responsable de cet acte de folie, et que nous n'en connaissions ni le pourquoi ni le comment.
Peu importe que le responsable fût un terroriste, un demandeur d'asile, un activiste politique, un croyant d'une religion quelconque ou bien un loup solitaire rongé de frustrations. Peu importe, finalement. Dans tous les cas de figure –à moins qu'il ne s'agisse d'un accident–, c'était un crétin. Une âme ignoblement fourvoyée qui croyait qu'elle pouvait mettre en évidence une souffrance ou une injustice en infligeant de nouvelles souffrances imméritées à d'autres gens.
Je n'ai jamais pu comprendre ça, et je ne le pourrai jamais. Je ne comprendrai jamais ni les abrutis complets animés par leur fanatisme religieux, hier comme aujourd'hui, ni les loups solitaires qui veulent punir les autres des frustrations accumulées au cours de leur propre existence. Qu'ils aient choisi de péter un plomb avec une arme à la main, ou de se servir d'un véhicule, ou de n'importe quoi d'autre.
Je méprise les agitateurs aveugles et idiots
Je méprise tous ceux qui infligent de la souffrance aux autres, quelle que soit la couleur de leur peau, leur foi, leur degré de richesse, leur folie ou tout autre trait par lequel on pourrait les distinguer.
Je méprise tout autant les agitateurs aveugles et idiots, comme ceux de l'AfD qui, quelle que soit la réalité des faits –lesquels ne sont pas encore établis–, tentent de façon générale de faire porter le chapeau à Angela Merkel, à sa politique ou aux réfugiés.
C'est à vomir. J'ai honte de devoir partager mon pays avec ces gens-là. J'ai honte aussi des malades mentaux que sont les fanatiques (religieux) qui croient "se battre pour la bonne cause" à coups d'attentats et causent encore plus de malheurs pour des milliers et des milliers de personnes pacifiques qui tentent d'échapper à l'enfer syrien...
Mais je ne veux pas que des fous, quelles que soient leurs raisons, me dictent ce que je dois penser ou ressentir, ce à quoi je dois croire ou pas, si je dois rire ou être en larmes, ou les deux à la fois. Je refuse d'accorder à la terreur la moindre victoire, et je ferai en sorte de ne pas lui laisser le plaisir de me dire comment je dois vivre, comment nous devons vivre.
En fait, j'ai honte pour une très, très grosse partie de l'humanité. En ce moment, c'est franchement difficile de trouver une étincelle d'espoir chez qui que ce soit, à droite comme à gauche, chez les Noirs ou les Blancs, chez les gens intelligents ou ceux qui ne le sont pas, les gros ou les maigres, les hommes ou les femmes, les jeunes ou les vieux...
L'étincelle ne peut probablement naître que doucement. En chacun de nous. Même si ça va être très difficile. Il faut continuer, encore et toujours, à lutter contre la folie et l'inhumanité, à réfléchir un tout petit moment avant d'ouvrir sa gueule, à tenter de faire fonctionner son esprit, même quand l'émotion peut nous donner une fausse impression de clarté...
Je ne veux pas perdre la foi
Aussi terrible que l'instant puisse paraître, je ne veux pas encore abandonner tout espoir en la victoire de la raison et de l'humanité. Dans la mesure de mes modestes moyens, je continuerai donc à lutter contre la folie contagieuse et contre le désespoir croissant que je ressens envers la race humaine.
En théorie, nous pourrions tous vivre en paix. Au cas où vous auriez réussi à lire ma longue diatribe jusqu'au bout, ça me ferait plaisir que vous viviez en paix avec moi!
Bonne nuit.
* Parti d'extrême-droite anti-réfugiés
Ce blog, publié à l'origine sur la page Facebook de l'auteur et repris par le Huffington Post allemand, a été traduit par Uta Becker pour Fast for Word.
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