Il y a cinquante ans, de la libéralisation de la contraception à la libération des femmes
Il y a alors seulement deux ans que les femmes ont le droit d'exercer une profession sans l'autorisation de leur mari, d'ouvrir un compte en banque. Elles demeurent soumises par le mariage au "chef de famille", seul détenteur de l'autorité parentale, qui fixe le lieu de résidence du couple et administre les biens communs. Le modèle dominant est celui de la femme au foyer.
1967 est également l'année où pour la première fois, les lycéennes sont aussi nombreuses que les lycéens à obtenir le baccalauréat et bientôt le nombre des jeunes femmes à l'université va considérablement s'accroître.
La sexualité se vit entre interdits et drames. La peur de grossesses non désirées est permanente. L'avortement est, depuis une loi de 1920 toujours en vigueur, considéré comme un crime et la propagande pour la contraception est elle aussi pénalisée. Si certaines, peu nombreuses, peuvent recourir à l'avortement à l'étranger, très coûteux, les autres risquent leur intégrité physique voire leur vie dans des avortements clandestins (on parle de 5000 morts par an).
Depuis 1956, pourtant, "La Maternité heureuse", créée par Marie-André Lagroua Weill-Hallé et devenue en 1960 le "Mouvement pour le Planning Familial", a fait de la contraception son cheval de bataille pour éviter les avortements. Même dans cette limite, elle rencontre de vives oppositions de la part des communistes et des catholiques. Là encore, la France est en retard, comme elle l'a été pour le droit de vote, sur les pays du Nord et certains pays anglo-saxons.
Lucien Neuwirth le sait et, dans un élan généreux et libre à l'égard des femmes, il veut y remédier. Il y mettra persévérance et courage mais sa loi de libéralisation de la contraception reste enserrée dans des limites strictes: pour les mineures (jusqu'à 21 ans à l'époque), elle exige le consentement écrit des parents; et elle interdit toute publicité même indirecte.
Ce n'est qu'après les grandes luttes du MLF pour le droit à l'IVG et quatre ans après son adoption que paraissent, en 1972, les décrets d'application de la loi Neuwirth.
Il faudra attendre le mouvement de Mai et plus encore la création du Mouvement de libération des femmes (MLF) à l'automne 1968 pour que la France et les femmes basculent dans une nouvelle ère de liberté et de libération. Ce n'est d'ailleurs qu'après les grandes luttes du MLF pour le droit à l'IVG -manifestations, manifeste des 343, etc.- et quatre ans après son adoption, que paraissent, en 1972, les décrets d'application de la loi Neuwirth.
La vraie rupture est là: l'essai que constituait la loi a été transformé par le mouvement politique de 68, par la création du MLF, par la prise de conscience des femmes. Elles se sont saisies de l'avancée technologique de la pilule pour considérer la libération sexuelle dans l'ensemble de sa dimension -libération des mœurs et libération de la maternité esclave-, pour accéder à une liberté sexuelle non assujettie à celle des hommes et à une maternité choisie, comme a pu le dire Antoinette Fouque, cofondatrice du MLF, qui voyait là une "révolution anthropologique": pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, les femmes pouvaient maîtriser leur fécondité, c'est-à-dire la compétence de procréer de leur corps, dont elles sont seules dans l'espèce humaine à disposer et qui jusque-là était la cause de leur subordination. Elles pouvaient enfin dire non ou dire oui.
L'essai que constituait la loi a été transformé par le mouvement politique de 68, par la création du MLF, par la prise de conscience des femmes.
Et tout le reste, en France, a suivi: l'abolition de la puissance paternelle, l'avancée du droit à l'égalité dans tous les domaines. En 1973, l'éducation sexuelle fait son entrée dans le programme des collèges et des lycées. En 1974, une deuxième loi Neuwirth permet le remboursement des contraceptifs, l'anonymat et la gratuité pour les mineures dans les centres de planification familiale; le consentement parental n'est plus exigé. En 1975, c'est la première loi autorisant l'avortement qui sera reconduite et deviendra définitive en 1979. Jusqu'à la loi sur la parité en 1999 qui entérine l'accès des femmes à une pleine citoyenneté ancrée dans le droit à disposer de leur corps, suivie de la loi sur le mariage pour tous, de l'incrimination du délit d'entrave à l'IVG et, en 2016, de la loi contre la prostitution qui aide les femmes à en sortir et pénalise les clients.
Tout ce mouvement a permis une démocratisation et une laïcisation inédites de la société. Mais, écrivait Antoinette Fouque en 2004, "la libération des femmes, la plus longue des révolutions, doit s'attendre à la plus longue et la plus sanglante des contre-révolutions" (Il y a deux sexes, Gallimard 2004 et 2015). Et voilà où nous en sommes aujourd'hui: à une "protestation virile" qui se déchaîne contre les femmes. Le droit à la maîtrise de notre fécondité est menacé de toutes parts: en Espagne et en Pologne, seule une immense mobilisation des femmes en 2016 a permis d'éviter la régression. L'Amérique recule à mille à l'heure. La Russie vient d'abolir la pénalisation d'une partie des violences domestiques. Pour ne rien dire des marchés aux esclaves sexuelles mis en place par Daesh, tandis que la Turquie d'Erdogan vient de tenter de légaliser le viol des petites filles.
Sommes-nous si loin de la loi Neuwirth? Et si précisément, au contraire, ce mouvement incessant depuis 1968 de levée de refoulement sur la capacité génésique des femmes, à l'envers des grandes religions du Livre, était le seul mouvement de civilisation garant pour l'avenir du maintien des droits démocratiques dans le monde? C'est l'hypothèse que nous réaffirmons ici.
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