L'UE et Londres en ordre de bataille pour négocier le Brexit
En déclenchant le Brexit, le Royaume-Uni a dévoilé en partie son plan de bataille. Mais les deux années de négociations à venir avec l'UE s'annoncent très difficiles tant les priorités des uns et des autres sont éloignées, selon des analystes.
La Première ministre britannique Theresa May a fait savoir mercredi, dans une lettre de six pages remise au président du Conseil européen Donald Tusk, que son pays déclenchait la procédure prévue par le Traité de Lisbonne pour quitter l'Union, conformément au résultat du référendum du 23 juin 2016.
"Nous voulons rester des partenaires engagés et des alliés pour nos amis de tout le continent", a voulu rassurer Mme May.
Mais elle a aussi pris le contrepied de l'UE à 27 en insistant dans sa missive sur la nécessité de mener en parallèle les discussions sur les modalités du retrait et celles sur le "partenariat étroit et spécial" qu'elle souhaite arracher pour la suite.
"C'est un v?u pieux", estime Janis Emmanouilidis, analyste à l'European Policy Center (EPC) à Bruxelles. "Ce qu'elle demande là est tout bonnement impossible".
Comment, en effet, négocier avec le Royaume-Uni, qui restera membre à part entière de l'UE jusqu'au 29 mars 2019, un accord commercial et de coopération en matière sécuritaire comme s'il était déjà un pays tiers?
Cet accord sans précédent devra être approuvé par l'ensemble des 27 Etats membres, et ratifié par leurs parlements nationaux et certaines assemblées régionales, soit près de 40 feux verts à obtenir, ce qui pourrait prendre des années, rappelle l'analyste.
Angela Merkel a en tout cas immédiatement rejeté cette perspective. "Il va falloir d'abord clarifier dans les négociations comment délier les étroites imbrications" de l'UE et du Royaume-Uni, a dit la chancelière allemande, "et seulement une fois cette question clarifiée nous pourrons ensuite, (...) si possible assez vite, parler de notre relation future".
Les Européens veulent régler auparavant trois sujets "prioritaires": la facture à solder par Londres, les futurs droits des citoyens européens au Royaume-Uni et des Britanniques dans l'UE, ainsi que la question de la frontière nord-irlandaise.
La missive de Mme May passe d'ailleurs complètement sous silence la question du "reste à liquider", la facture que le Royaume-Uni devra solder pour quitter l'UE, estimée autour de 55 à 60 milliards d'euros par la Commission.
"C'est probablement un choix tactique", estime Vivien Pertusot, chercheur associé à l'Institut français de relations internationales (Ifri). Ce "sera un sujet extrêmement litigieux", y compris au sein du Parti conservateur de Mme May, abonde M. Emmanouilidis.
- 'Trop tôt' -
Le négociateur en chef de l'UE, le Français Michel Barnier, a expliqué la semaine dernière qu'il était "trop tôt" pour négocier un "nouveau partenariat", tout en se montrant ouvert pour en "esquisser les contours" et élaborer des "arrangements transitoires".
Pour Vivien Pertusot, Mme May semble surtout vouloir "ne pas perdre de temps" alors que l'accord de sortie doit être bouclé avant octobre 2018 pour laisser le temps aux capitales et au Parlement européen de le valider.
Dans sa lettre, Theresa May semble aussi mettre en garde les Européens. Face aux "signaux d'une hausse des instincts protectionnistes dans le monde", comme aux Etats-Unis, et alors que "la sécurité en Europe est plus fragile aujourd'hui qu'elle ne l'a jamais été depuis la fin de la Guerre froide, affaiblir notre coopération pour la prospérité et la protection de nos citoyens serait une erreur coûteuse", écrit la Première ministre conservatrice.
L'eurodéputé libéral Guy Verhofstadt n'a guère apprécié, dénonçant une tentative de "marchandage". "La sécurité de tous les citoyens est un sujet bien trop grave pour que l'un soit troqué contre l'autre", a réagi M. Verhofstadt, le référent du Parlement européen pour les négociations du Brexit.
Mais selon M. Pertusot, ce langage "vif" de Mme May traduit aussi la position de force de Londres, premier budget militaire européen de l'Otan et membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU. "On a bien compris des deux côtés de la Manche que le Royaume-Uni est un partenaire indispensable dans la lutte contre le terrorisme et pour défendre la place de l'Europe au sens large dans le monde", souligne-t-il.
Les négociations risquent d'être un "processus exténuant", prévient Jonathan Eyal, du centre de réflexion londonien RUSI. Mais, dit-il, "les Britanniques pourraient s'y montrer plus flexibles que ce que l'on croit et les Européens moins fermes que ce que l'on prédit".