Procès Heaulme: enquête brouillonne, audience explosive au 7e jour
L'enquête mal ficelée qui a envoyé Patrick Dils en prison pour les meurtres de deux enfants en 1986, dont répond aujourd'hui Francis Heaulme, a été jeudi au coeur d'une audience explosive dans laquelle l'accusé a été totalement oublié.
Assis dans son box, arborant la même chemise bleu-grise à rayures depuis le début de la semaine, le "routard du crime", condamné pour neuf meurtres mais qui nie avoir tué Alexandre Beckrich et Cyril Beining le 28 septembre 1986, est resté muet et attentif tandis que s'écharpaient président, défense et témoin phare.
Ce dernier, l'inspecteur Varlet, a recueilli les aveux de Patrick Dils, 16 ans, en avril 1987. L'adolescent s'était ensuite rétracté mais, condamné deux fois, il a passé 15 ans en prison avant d'être définitivement acquitté en 2002.
Dans son costume noir, M. Varlet s'agace tandis que la cour pointe les dysfonctionnements de son enquête. Il rétorque avoir travaillé, et bien "120 heures par semaine".
Trente ans après, l'inspecteur est toujours persuadé que les aveux de Dils sont la seule résolution possible à cette affaire.
Et tant pis s'il a perdu son procès en diffamation contre ce dernier qui, dans un livre, l'accusait d'avoir extorqué les aveux de l'adolescent "docile" qu'il était.
Il ne sourcille pas quand le président lui fait remarquer qu'il manque des pièces au dossier - par exemple, aucune trace de l'empreinte de pas relevée sur le talus, qui a été prise en photo.
"Une empreinte de pas ?", demande Varlet. "Ca ne vous dit rien ?" "Non. Non."
Pas plus quand Me Moser, avocat du père d'Alexandre, lui demande comment il parvient à obtenir des aveux de trois personnes - "Quatre", corrige Varlet - des "mises en cause infirmées totalement par la justice ?".
"Vous dites que je suis un mauvais flic... ? ", s'énerve l'inspecteur à la retraite, sans répondre.
Outre Patrick Dils, deux hommes, dans le dossier, ont avoué: Henri Leclaire, qui obtiendra un non-lieu en 2017, et M. G., dont les déclarations, à l'époque, sont jugées "fantaisistes". Et un quatrième donc, mentionné à l'audience.
"L'ambassadeur du Luxembourg", un "dérangé", dont les aveux ne seront jamais versés au dossier, explique Varlet.
- Pleurs d'enfants -
Les premières constatations médico-légales, elles, sont effectuées par une jeune médecin généraliste remplaçant, qui les rédigera sur ses genoux, à la lueur d'une lampe de poche, sur une feuille d'ordonnance.
Il décrit un corps "souple" et "tiède", l'autre présentant une rigidité des membres supérieurs et inférieurs. Pour lui, "la mort remonte à moins de 3H"
"Pourquoi un corps souple et un rigide ? Vous avez cherché ?", demande le président.
"J'ai demandé au professeur en médecine légale qui a effectué l'autopsie. Il m'a expliqué qu'il n'y avait pas d'explication scientifique", commence Varlet.
"La première réponse qui selon moi est juste c'est lorsque nous avons eu les aveux" de Dils. Ce dernier avait expliqué que l'un des deux enfants était "raidi par la peur" pendant qu'il tuait l'autre.
Tant pis si le procureur général rappelle, haussant le ton, que l'acquittement de 2002 est définitif, et qu'on ne devrait plus mentionner Dils - faisant hurler la défense.
En l'absence de preuves matérielles, les aveux sont pour les familles, une partie de leurs avocats et la défense, la seule branche à laquelle se raccrocher.
Les aveux, et un témoin, une voisine, qui affirme avoir entendu, entre 18h30 et 19h, des pleurs d'enfants "apeuré".
Or si les garçons sont morts après 18h45/18h50, soutiennent le policier et la défense, Patrick Dils aurait pu les tuer. Il était rentré du week-end qu'il venait de passer en famille.
Quand il arrête la première fois Patrick Dils, en octobre 1986, c'est d'ailleurs là que ça coince: le policier a bien entendu parler de ce témoin, mais ne le retrouve pas. Il relâche donc l'adolescent.
En avril 1987, Mme D. est retrouvée et entendue: cinq jours plus tard, Patrick Dils est interpellé.
Appelée à témoigner mercredi, elle a encore affirmé avoir entendu les pleurs, "quand elle préparait le dîner, donc avant 19h", forcément, avant de descendre voir si elle pouvait aider.
"Quand vous êtes arrivée, la police était là ?" demande le président. "Oui".
La police, le 28 septembre 1986, a été appelée à 19h24.