Petit contretemps à la valse des faux billets aux assises de Paris
Ils passent de main en main. Chacun palpe les talbins, zieute les biffetons. Des "20", des "50", que des faux billets. La scène se passe à la cour d'assises de Paris. Puis on compte, recompte. Encore. Moment de flou. Le président lâche: "On a un petit souci."
Tout a pourtant commencé sans anicroche mardi au procès du faux-monnayeur Dominique Patrom et de son beau-frère Marceau Baum-Gertner, qui conteste le rôle de distributeur dont il est accusé.
A la barre, un enquêteur de l'Office central pour la répression du faux-monnayage raconte la découverte de ce qui a été surnommé la "cave à vingt" de Patrom.
Un atelier d'où sont sortis en cinq ans quelque 10 millions d'euros en faux billets, lieu que la cour a visité, à travers le récit de l'enquêteur et les photos des perquisitions.
Au printemps 2012, lors de la première, ils ne trouvent qu'un massicot pour découper le papier, et un carton d'imprimante. La seconde s'avérera plus fructueuse.
A l'entrepôt de Courtry (Seine-et-Marne), "j'ai pris des mesures et je me suis rendu compte qu'il en manquait", se souvient l'enquêteur. Il y a un vide sous la rampe qu'empruntent les véhicules pour monter.
Dans le garage, derrière deux rangées successives d'étagères se cache une petite trappe habilement dissimulée, qui s'ouvre avec un tournevis cruciforme.
La trouvaille, une pièce d'une quarantaine de mètres carrés, des imprimantes, deux machines de typographie (impression par pression) "Heidelberg" que Patrom avait "bidouillées", explique l'enquêteur. Des machines qui au total pèsent des tonnes, "pour les enlever il a fallu des grues".
L'une servait pour le fil sécurisé et le filigrane des billets, l'autre pour le passage à chaud.
Outre ces machines, il fallait du papier, "Clairefontaine", bleu clair pour les billets de 20, "ivoire" pour ceux de 50. De simples feuilles disponibles dans le commerce, qui ont le même grammage que les vrais billets. De l'encre, et le savoir-faire de Patrom.
- Un 'mauvais comptage?' -
Pour que la cour et les jurés constatent le résultat, le président fait ouvrir des scellés. De l'avocat général au dernier juré supplémentaire, chacun examine avec attention les faux billets, le président y va de son diagnostic, "la texture a l'air meilleure sur le 50 a priori".
"La France est malheureusement le pays où il y a le plus de fausse monnaie", poursuit l'enquêteur, qui souligne la "mauvaise communication" auprès du public, "les gens ne savent pas les reconnaître". Les faux billets de Patrom, "à la lampe UV, on voit tout de suite que c'est faux" mais le stylo, pour tester l'authenticité, "ça marche pas".
Moment de flottement. La greffière fait le compte, la mine contrariée, cherche l?huissier d'audience du regard. Elle souffle, il recompte. La greffière parle à l'oreille du président, il grimace. On regarde sous les dossiers pour voir si quelque billet ne serait pas venu s'égarer.
Pendant ce temps, l'enquêteur continue sa déposition, parle de la contrefaçon de masse en Italie, explique qu'en France, seuls "quatre ou cinq" faussaires sont susceptibles d'avoir le niveau de technicité de Patrom.
Ce qui n'était jusqu?ici que murmuré jaillit. Le président évoque le "petit souci": l'étiquette de la pochette transparente du scellé mentionnne 79 billets de 20 euros, "on en a que 57".
"Est-ce qu'il y a eu un mauvais comptage?" s'interroge-t-il.
Il n'y en a en tout cas pas eu lors de l'ouverture du scellé. En marge de l'audience, les uns et les autres émettent l'hypothèse d'une erreur lors de la constitution du scellé. Peut-être due à la fatigue d'une longue perquisition, qui, comme l'avait dit l'enquêteur, "a commencé à 10H00 du matin" pour se terminer "le lendemain à 14H00", "on a travaillé toute la nuit, ça a été un énorme travail".
Si les faits reprochés aux deux accusés sont passibles de 30 ans de réclusion criminelle, Patrom, en récidive légale, encourt la perpétuité.
Le procès est prévu jusqu'à vendredi.