Des lanceurs d'alerte veillent à ce que les grillages ne gagnent pas de terrain en Sologne
Raymond et Marie Louis sont engagés depuis 1998 au sein de leur association, Les amis des chemins de Sologne, basée à Brinon-sur-Sauldre. Leur objectif ? Que les grands propriétaires, chasseurs pour la plupart, ne prennent pas cet espace naturel, pour leur terrain de jeu et le grillagent à tout-va. Si leur combat est mis en lumière depuis quelques années avec les préparatifs et l’adoption de la loi du 2 février 2023, ils n’en restent pas moins mobilisés.
À bord de leur 4 x 4, Marie et Raymond Louis, chevilles ouvrières de l’association Les amis des chemins de Sologne, créée à Brinon-sur-Sauldre, dans le Cher, pour la sauvegarde des chemins ruraux et contre l’engrillagement de la Sologne, ne comptent pas leur temps.
Depuis le 5 février 1998, ils arpentent le terrain, aiguillés par leur réseau qui s’apparente à une toile d’araignée, afin d’aller se rendre compte par eux-mêmes des débordements et des "libertés" prises par certains propriétaires. Quelque 4.000 km de grillages sillonnent la Sologne.
"Pas contre les riches", "pas contre la chasse""Au départ, nous nous sommes mobilisés, car nous faisions des randonnées à cheval et nous ne pouvions pas passer à certains endroits à cause de grilles canadiennes, se souvient Raymond Louis. "Nous ne sommes pas contre les riches. Nous savons ce qu’ils apportent. Nous-mêmes, nous sommes à la tête d’une entreprise d’entretien de propriétés qui ne sont pas engrillagées. Nous ne sommes pas contre la chasse. Nous la pratiquons", détaille le couple, aujourd’hui attaché à l’application de la nouvelle loi.
Dans certaines propriétés, il y a plusieurs grillages.
Ce n’est pas parce qu’on a de l’argent, qu’on est au-dessus des lois. Et qu’on ne respecte pas le sol où on a des propriétés. Le prétexte est de dire que les grillages évitent les intrusions, comme pour les champignons. Mais on sait bien que c’est pour garder le gibier. On a connaissance de tableaux de chasse qui ressemblent à des massacres. C’est de la folie?!
Tout en précisant que ces concentrations de gibier entraînent de la consanguinité et des maladies. Comme celle d’Aujeszky. Et des coins où il n’y a plus rien : "On agit en petits Solognots qui aiment bien leur territoire. Mais le mot grillage nous donne des boutons. On est à l’affût."
Même s’ils ont mis du temps à faire entendre leur combat, ils sont sortis du silence ces dernières années grâce au soutien de François Cormier-Bouligeon (Renaissance), député du Cher. Une loi, celle du 2 février 2023 portée par Richard Ramos (député MoDem du Loiret) et façonnée par Jean-Noël Cardoux (ancien sénateur Les Républicains du Loiret qui présidait la commission chasse de la chambre haute), est même venue (enfin) concrétiser leurs efforts : "Une première victoire?!"
Or, depuis cette date, dix-huit signalements ont été adressés à la direction régionale de l’Office français de la biodiversité (OFB), basée à Orléans, dans le Loir-et-Cher, le Loiret et le Cher. "Pour le Loiret, il y en a plusieurs dont un à La Ferté-Saint-Aubin, après un chantier réalisé en juillet dernier. Si la hauteur du grillage est conforme à ce que la loi préconise (1,20 mètre), l’espace de 30 cm, entre le sol et le bas du grillage n’est pas respecté", montre Raymond Louis, mètre à la main.
"Nous savons que nous allions avoir du fil à retordre"Comment est-ce possible?? "Si la loi a bien été votée, les décrets ne sont toujours pas signés et empêchent l’OFB de pouvoir agir sur le terrain, en exigeant la mise aux normes édictée dans la loi." Lundi 5 février, une consultation publique a été lancée au sujet de deux décrets sur le site du ministère de la Transition écologique. "On n’attendait que ça. Il faut maintenant aller voir le contenu de ces décrets. Comme les engrillageurs vont commenter, nous devons également nous exprimer", insistait Raymond Louis, joint mardi 6 février. "Nous savons que nous allions avoir du fil à retordre. Notamment au sujet des grillages le long des routes. Il ne faudrait pas que ce soit au bon vouloir des préfets."
Le Graal des Louis est d’aboutir au zéro clôture : "Si les propriétaires souhaitent délimiter leurs terrains, ils peuvent le faire avec des fils lisses".
Contexte. La loi visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et protéger la propriété privée, adoptée le 2 février 2023, précise que les grillages doivent être posés 30 centimètres au-dessus de la surface du sol, leur hauteur limitée à 1,20 mètre et ils ne peuvent ni être vulnérants ni constituer des pièges pour la faune. Par ailleurs, les propriétaires de grillages, construits à partir de 1993 et ne répondant pas à ces nouvelles normes, auront jusqu’au 1er janvier 2027 pour se mettre en conformité. Si la loi a été adoptée, dans un timing jugé inespéré, il n’en va pas de même pour les décrets d’application. Un an plus tard, ils se font attendre, voire désirer. Par toutes les parties ayant trait à ce dossier, d’ailleurs. Qu’elles soient pour la loi (associations, élus), plutôt contre (propriétaires) ou qu’elles doivent juste l’appliquer (justice, Office français de la biodiversité). Si certains régimes dérogatoires sont déjà mis en avant dans la règle générale qu’est la loi, il n’empêche. Il sera temps de voir dans quelle mesure la loi pourra être appliquée sur le terrain et dans quelles conditions. Interrogé, le ministère de la Transition écologique et de la Cohérence des territoires indique que "les textes d’application de la loi engrillagement ont été présentés au Conseil national de la chasse et de la faune sauvage fin 2023". Leur mise en consultation du public est effective depuis le 5 février. "Consécutivement à la consultation du public, d’une durée de trois semaines, les textes devraient donc être publiés dans le courant du mois de mars", précise le ministère à La République du Centre.
Alexis Marie