Pour cette Creusoise qui a perdu son bébé, "on ne fait jamais le deuil d’un enfant"

Encore trop tabou dans la société, le deuil périnatal touche pourtant beaucoup de personnes. Près de 7.000 femmes et couples par année perdent leur enfant en cours de grossesse en France ou lors de ses sept premiers jours* de vie. En août 2022, la jeune Creusoise Chloé Coudert y a été confrontée. De l’effondrement à une « douleur apaisée », elle souhaite témoigner afin de prévenir que nul n’est à l’abri de ce deuil qui renvoie souvent à quelque chose d’impensable.

Elle s’attendait à vivre le plus beau moment de sa vie mais a vécu le pire. Chloé Coudert n’oubliera jamais cette date. Le 10 août 2022, elle a perdu son enfant, Jules.

Aide-soignante en Creuse, habitant une maison à Saint-Agnant-de-Versillat avec son compagnon Théo, elle attendait à 22 ans son premier enfant avec beaucoup d’impatience. Avec l’insouciance d’un jeune couple qui s’apprête à accueillir une troisième personne dans son quotidien. « J’avais de l’amour à revendre, ce jour-là, on s’attendait à rentrer à trois à la maison mais on est rentré qu’à deux. Effondrés. »

En 2022, la grossesse de la future maman se passe quasiment parfaitement. « Lors de la première échographie, on m’a décelé un hématome, mais rien de grave selon les médecins. La suite de la grossesse s’est très bien passée sans aucune inquiétude particulière exprimée par les soignants », se souvient Chloé Coudert. Au fil des mois, les deux parents imaginent leur bébé et projettent sur lui un imaginaire intime. Après sept mois de grossesse, tout bascule.

Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai senti que c’était la fin.

Dans la nuit du 9 au 10 août, la jeune femme ressent des contractions « anormales » qui la poussent à rejoindre l’hôpital de Guéret vers les 1 h 30 du matin. « J’avais appelé vers 23 h 30 donc on a pris notre temps avant d’y aller sans penser qu’il y avait réellement une urgence. » La réalisation d’un monitoring permet de constater que le bébé a un rythme cardiaque qui diminue à mesure que les contractions de la maman s’accentuent. « Là, ils décident de réaliser une césarienne d’urgence, d’activer le code rouge. Jules me met deux derniers coups de pied dans le ventre et je ne sais pas pourquoi, mais j’ai senti que c’était la fin, raconte Chloé Coudert d’une voix posée et empreinte d’émotion. Puis après, je me suis endormie avec l’anesthésie générale. »

À son réveil, elle demande tout de suite au gynécologue si son premier enfant est bien vivant. Un simple regard suffit pour qu’elle comprenne. Il n’a pas survécu. « Ils n’ont pas réussi à le réanimer. Il a été déclaré décédé à 2 h 57. » Cette nuit-là, la vie du jeune couple bascule. L’image d’un quotidien à trois s’effondre, remplacé par un traumatisme auquel les parents n’étaient pas préparés. Dans la nuit, le gynécologue et la sage-femme sont au chevet de Chloé. « Ils ont été super, c’est vrai mais je me sentais vide, choquée. Je ne voulais pas voir le bébé mais ils m’ont conseillée de le faire. » La réalité hospitalière lui rappelle ce qu’elle vient de vivre. Les pleurs des nouveaux-nés qu’elle entend dans la maternité contrastent avec le triste silence de sa chambre. 

Au lieu de rester hospitalisée une semaine, elle est alors autorisée à rentrer chez elle dès le lendemain. « Je ne pouvais plus rester à l’hôpital. » La semaine qui suit, la maman est dans le déni, ne veut pas croire à ce qu’elle subit. L’autopsie du bébé ne donne aucune explication significative sur les causes de son décès ajoutant une nouvelle frustration au traumatisme. Accompagnée par ses parents depuis le début, Chloé Coudert doit tout de même l’annoncer au reste de son entourage. Modifier les quelques lignes du faire-part de naissance qu’elle avait préalablement écrites afin de trouver les bons mots pour annoncer le décès. Chloé peut alors compter sur le soutien de ses amies dont Floriane. « Nous aussi, on a été effondrées quand on a appris la nouvelle, se souvient cette dernière. Mais on a pu en parler avec elle, c’est important. »

Puis les démarches administratives surviennent inévitablement. De la préparation de la naissance de son enfant, le couple doit désormais organiser ses obsèques. Trouver comment les financer. Entre-temps, il doit le déclarer « né sans vie » à l’État civil de la mairie. Finalement, leur quotidien se résume à tenter de gérer l’ingérable. « En 2022, on m’a demandé de le déclarer sur ma déclaration d’impôts mais plus en 2023. Toute cette lourdeur administrative rajoute de la douleur à la douleur. Ce n’est qu’au moment où j’ai refermé l’urne funéraire que j’ai vraiment réalisé que je venais de perdre mon enfant », retrace Chloé Coudert.

Alors suivie par un psychiatre, la jeune maman ne trouve pas les réponses qu’elle cherchait. « On m’a donné des médicaments, j’avais besoin d’autre chose. » Censée être en congé maternité jusqu’à janvier 2023, elle parvient à reprendre son travail en novembre 2022. « Ça m’a aidée à retrouver une vie sociale, à ne pas m’isoler avec Théo. Mes collègues ont été géniales même si je n’arrivais pas à être à 100 .» 

Une grossesse, c’est censé être le meilleur moment d’une vie mais ça peut être  le pire.

Tant bien que mal, la jeune aide-soignante essaye de gérer ses émotions qui ressurgissent souvent. En mai 2023, quand elle doit réaliser une toilette mortuaire dans le cadre de son travail, tout lui revient subitement à la figure. Elle en est incapable. Elle tombe en dépression. « Dans ces moments-là, tu te retrouves abandonnée, démunie. Une grossesse, c’est censé être le meilleur moment d’une vie mais ça peut être le pire et on n’en parle pas assez. » 

Ce tabou général sur le sujet et le manque d’accompagnement pour les personnes qui y sont confrontées, Chloé Coudert le déplore. Les cris des autres bébés qu’elle entend dans la maternité, les lourdeurs administratives ou encore le manque de formation de certains soignants sur le sujet, tout cela, elle ne voudrait y être confrontée à nouveau pour rien au monde. 

Ce qui l’a aidée à s’en sortir, c’est d’avoir été capable d’en parler librement avec son entourage. « C’est essentiel, il ne faut pas s’isoler », soutient la Creusoise. Car si elle avait l’habitude de se rendre quotidiennement au cimetière à la suite de la mort de son fils, la jeune maman, aujourd’hui âgée de 24 ans, concède y aller moins souvent. « Ce n’est pas pour autant qu’on l’oublie. Jamais. Simplement, la douleur s’apaise même si on ne fait jamais le deuil d’un enfant. »

Aujourd’hui, la Creusoise attend la naissance de son deuxième enfant prévue en juin 2024. Elle concède ne pas du tout appréhender l’accouchement. Car elle espère simplement que ce moment puisse être le plus beau de sa vie

(*) Selon la définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), on parle de deuil périnatal lorsque des parents perdent leur bébé entre 22 semaines d’aménorrhée et le 7e jour après sa naissance..

Vincent Faure