Entre souvenirs et avenir, Marie-Aude Vieira évoque les 15 ans de son restaurant étoilé dans le Cantal

La maison Vieira, doublement étoilée à Chaudes-Aigues, fête ses quinze ans cette année. Et s’apprête à écrire une nouvelle histoire, sans Serge, disparu l’an dernier, mais avec une Marie-Aude déterminée à faire vivre son héritage, à sa manière.

La maison Vieira a 15 ans, mais son histoire en a 17. Pourtant, Marie-Aude Vieira s’en souvient comme si c’était hier. « Dans la foulée du Bocuse d’or, on a voulu créer notre établissement avec Serge. On a commencé par visiter des restaurants existants, mais il fallait tout casser à chaque fois, ça n’avait pas de sens, on s’est dit qu’il fallait mieux partir d’un lieu différent. Et on a vu tout et n’importe quoi, un terrain dans la chaîne des Puys, mais qui n’avait pas d’âme, un ancien Ehpad avec 100 chambres… Puis Yves Meunier a fait un reportage sur nous, un an après le Bocuse d’or, dans lequel on expliquait notre démarche. Bruno Avignon, de Cantal destination, nous a alors appelés. Et plutôt que de nous proposer quelque chose, comme on en avait l’habitude, il nous a demandé ce qu’on voulait. On lui a répondu une bâtisse de caractère, en Auvergne, et pas trop loin de l’autoroute. Il nous a dit qu’il nous rappelait dans un mois. »

Le couple Vieira, en 2008. "A l'époque, quand les gens me voyaient seule, ils pensaient que j'étais la fille du patron" sourit Marie-Aude 

Et un mois après, tous se retrouvent au château du Couffour. 

Je le revois nous expliquer que la vue est fabuleuse, alors qu’on ne voyait pas nos pieds à cause du brouillard ! sourit-elle. Mais on a eu le coup de cœur, et quand on est revenus, on a mieux compris pour la vue. Dès lors, notre installation a été facilitée par le maire de l’époque, Pierre Brousse, un féru de gastronomie, qui était persuadé que la commune gagnerait à nous accueillir. 

Deux ans de travaux plus tard, vient l’ouverture. « On avait pris trente ou trente-cinq couverts, on était fous… je n’avais même pas commandé de carnet de bons. Et il y avait un vent de folie, la porte gondolait… mais ça reste un bon souvenir. Et un couple de clients de ce soir-là vient toujours, chaque année, ils seront d’ailleurs là pour les 15 ans. »

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Vient la première étoile, dès 2010, « qui nous montre qu’on est sur la bonne voie. » Puis la deuxième, en 2012. « Cette année-là, on en a même eu trois, puisque j’étais enceinte de Matys. Et j’en souriais souvent avec les clients, en leur disant “vous ne savez pas quelle est la plus belle !” ».

Une ascension rapide pour la famille, qui accueillera encore une fille. « Au point que quand j’ai appris pour le cancer de Serge, je me suis dit : est-ce qu’on a trop réussi, est-ce qu’on a été trop heureux, et il faut qu’on le paye ? » Pourtant, tout n’a pas toujours été simple. Ainsi, l’ouverture de Sodade, l’hôtel-brasserie du centre-ville, en 2018, s’est faite dans la douleur.

Sodade Serge Vieira« On y a perdu beaucoup de temps, beaucoup d’argent, il y a eu des problèmes avec l’architecte… mais on a aussi vu ce qu’étaient de bons artisans. Je revois Arnaud Soulé, de chez Villaret, manger une pizza en pleine nuit avec nous, et travailler jusqu’au dernier moment pour qu’on puisse ouvrir. Et puis, au final, on ne regrette pas, c’était un bon investissement. »

Assez emblématique de ce qu’était Serge Vieira. « Il ne tenait pas en place, il avait toujours un projet en tête. Quand on faisait Sodade, il pensait à l’école pour en faire une boulangerie, une crèche… Et il a voulu qu’on se lance dans le championnat de VTT des chefs, puis dans celui de foot, avec 500 personnes… Quand le confinement est arrivé, il a dit “on ne va pas rester les bras croisés, on va faire un jardin”. Des fois, je le trouvais un peu fou, mais il avait souvent raison, et il m’embarquait. C’était son côté leader. »

Saint-Flour tournoi de football des chefs étoilés Bras + Bocuse + Blanc + Serge Vieira football club + Amoros + Bogossian + Rudy Riou 

Qu’elle doit désormais endosser pour le futur de l’établissement. Pour lequel cette année s’annonce charnière car « on est en train, enfin, d’acheter le château. Je dis “on”, pour me rassurer, ou alors j’englobe les enfants, je ne sais pas… En tout cas c’est mon investissement. Et désormais il va falloir faire les choix pour les travaux, pour le futur de l’établissement. » Avec un credo bien à elle : « mon but, c’est qu’on soit heureux dans ce qu’on fait. Que ce soit moi, ma famille, les équipes. »Afin que la maison Vieira poursuive le fil de sa belle histoire, même sans son chef emblématique. Mais avec le fidèle des fidèles, le confident des grands investissements, le seul qui écrivait les recettes de Serge, Aurélien Gransagne, pour l’épauler.

La liste des invités met des étoiles dans les yeux, de l’incontournable Régis Marcon à la championne de France de dessert Noëmie Honiat, du Bocuse d’or Davy Tissot à Franck Berton, sans compter le nombre de meilleurs ouvriers de France. Mais ce n’est pas le pedigree qui a présidé au casting. 

J’ai avant tout appelé les amis, reprend Marie-Aude Vieira. Et pas forcément que des chefs, il y a aussi des chocolatiers, des pâtissiers, et même un sculpteur sur glace. Et j’ai appelé beaucoup d’amis, en me disant que certains auraient du mal à se libérer… Mais tous ont répondu présent ! Et certains se sont même proposés : Dan Arnold, qui était second de Serge, et qui aujourd’hui a son restaurant en Australie, m’a appelée pour me dire qu’il était en France en ce moment, je l’ai donc ajouté au repas de vendredi. 

Quatre repas à quatorze mains qui s’inscrivent bien dans l’histoire de la maison. « On avait commencé pour la préparation du Bocuse d’or de Dan, on avait poursuivi pour les 10 ans de la maison, puis pour la team France… c’est un genre d’événement que j’aime bien. Parce que ça fait parler de la maison, de Chaudes-Aigues, mais aussi parce que ça nous sort du quotidien, ça maintient une certaine dynamique. » Elle a d’ailleurs déjà d’autres idées pour l’automne…

Yann Bayssat