Dépassés ou lanceurs d'alerte et sauveur d'usine ? Marianne Lère Laffitte interroge le rôle des syndicats avec son film sur La Chapelle Darblay
C’est le combat de salariés attachés à leur papeterie, au point de lui imaginer un avenir, de chercher des repreneurs pour la sauver. À La Chapelle Darblay (Seine-Maritime), la CGT de Cyril Briffault et Julien Sénécal a lutté, gagné et Marianne Lère Laffitte en a fait un film.
C’est une autre image de la CGT, une image qui existe mais qui est peu montrée : celle de syndicalistes plongés dans les dossiers, les calculs, les recherches, quand la boîte souffre et qu’il faut la sauver.
« Des cégétistes qui brûlent des palettes, c’est tout sauf la réalité de ce qu’ils font, explique Marianne Lère Laffitte, autrice du film documentaire L’usine, le bon, la brute et le truand. Il y a un autre travail de l’ombre qui n’est pas portraitisé dans les médias. »
"L'Usine, le bon, la brute et le truand", histoire d'une lutte ouvrière en ciné-débat à Aurillac
Celle qui a travaillé sur les conditions de travail à travers l’Europe et sous toutes ses formes, voulait interroger « la notion de fraternité et d’intelligence collective, à l’heure du changement climatique ». Le combat de La Chapelle Darblay répondait à ces deux antiennes : la lutte pour faire repartir une usine de papiers à journaux recyclés que son propriétaire veut fermer pour porter d’autres projets.Philippe Martinez accompagnait l'équipe du film
L’intelligence collective est portée par Cyril Briffault et Julien Sénécal, la brute et le bon dans le film. Ils ont travaillé dans l’ombre, pensé un futur pour l’entreprise, trouvé un repreneur. « Un combat comme ça, pour 1.000 échecs, il y a une réussite, explique Cyril Briffault. On a travaillé les dossiers, on a toqué à la porte de Bercy. À la fin, on a sorti les palettes, on a bloqué, pour être reçus, mais pas uniquement. C’était aussi pour alerter le grand public et faire sortir la colère de l’usine. Mais il y a beaucoup de travail derrière. »
Le film fait aujourd’hui le tour de la France, est montré à travers le pays. « Si on ne lutte pas, on est sûrs de perdre », résume Julien Sénécal, élu CGT, fils d’élu CGT, dans ce « bastion de la CGT ». « C’est important de montrer les victoires, de montrer que c’est possible. »
« Je voulais montrer un exemple de collectif »La situation est encore précaire, « il manque 30 millions d’euros de garantie de l’État, s’agace Philippe Martinez, ancien patron de la CGT, aujourd’hui retraité actif et venu à Aurillac avec l’équipe du film. À l’échelle de l’État, ce n’est rien du tout. La Banque publique d’investissement débourse des sommes considérables sur d’autres projets, mais là, nous sommes dans l’attente alors que des engagements avaient été pris. »Cyril Briffault et Julien SénécalLe film montre surtout une autre image du syndicalisme, à l’époque où les corps intermédiaires sont oubliés par la colère populaire, à l’image des Gilets jaunes. En 2023, la réforme des retraites est passée et pourtant, la CGT revendique de nouvelles adhésions, une bonne santé…
« Il faut plutôt se poser la question du dialogue social dans ce pays. Qu’est-ce qu’il faut faire pour être entendu ? », préfère s’interroger Philippe Martinez. « Le tissu social se délite, constate Marianne Lère Laffitte. Beaucoup de travailleurs n’ont pas la notion de ce qu’est un syndicat. Je voulais montrer un exemple de collectif, pour montrer l’importance du syndicat. »Avec un dernier rôle : celui de « lanceur d’alerte », exprime Philippe Martinez. Il revient sur la Chapelle Darblay, spécialiste du papier recyclé, un papier qui était collecté localement (25 millions de foyers dans le quart nord-est de la France) et qui est désormais produit à l’étranger puis importé. « On parle de réindustrialiser la France et on voudrait fermer cette usine ? Que l’on ne vienne pas nous dire dans dix ans que c’est trop tard. On prépare l’avenir, c’est aussi le rôle du syndicat. »
Pierre Chambaud