Luz, Camille Jourdy… Juana Macari nous embarque pour BD à Bastia 2024
Installé·es dans les hauteurs, des enfants observent un drôle d’engin qui s’est posé en face du port de Bastia : la fusée de Tintin. Dessinée par Camille Jourdy, l’affiche de BD à Bastia 2024, colorée et onirique, donne le ton. Cette 31e édition rameutera public familial et passionné·es avec des expos consacrées à la même Camille Jourdy, aux sorcières mais aussi à Luz ou Mathias Lehmann.
Directrice de la manifestation depuis 2017, Juana Macari propose comme chaque année une programmation tournée vers la créativité et les indés avec une dizaine d’événements au centre culturel Una Volta ou au musée de Bastia.
Outre sa dimension insulaire, quelle est la spécificité du festival ?
Juana Macari – Je ne connais pas d’autre manifestation qui s’affranchisse de la partie salon. Pour les auteurs et les autrices, ne pas avoir de planning de dédicace, ça change tout. Ils et elles sont plus libres de leurs mouvements, il y a une spontanéité en plus. Des contacts s’établissent, des échanges peuvent se poursuivre après le festival. Souvent, quand je revois les artistes pour leur rendre les planches que l’on a exposées, ils me disent que le festival les a mis dans une dynamique de travail génial. Chaque année, j’attends avec impatience de savoir quelle alchimie il y aura entre les invité·es.
Comment l’idée d’une exposition collective autour des sorcières s’est-elle imposée ?
Elle s’appelle Signadore, un terme corse qui désigne des femmes maîtrisant une sorte de magie blanche. Par exemple, elles enlèvent le mauvais œil grâce à des invocations. Il y a sur l’île une vraie mystique, une vraie tradition de la magie et de l’ésotérisme. Le but était de jouer sur le registre de la sorcellerie mais sous un angle positif. Tous les livres que l’on a choisis – Les Filles de Salem de Thomas Gilbert ou Emkla de Peggy Adam – démontent cette image de la femme effrayante et marginale, pour montrer que cette vision vient d’enjeux de pouvoir souvent masculins. L’année dernière on parlait d’humour. Les deux émotions qui fonctionnent à plein sont bien le rire et la peur !
L’illustration constitue aussi une part importante du festival.
Ce festival, qui a un public très familial avec beaucoup de scolaires, a toujours lié BD et illustration. On sait que l’illustration jeunesse est un terrain d’expérimentation et on le voit bien cette année entre les collages de Jérémy Fischer et les illustrations au fusain de Sarah Cheveau. On a aussi invité l’éditeur Julien Magnani qui cherche à flouter les catégories dans lesquelles on assigne les auteurs et les autrices pour des raisons commerciales. J’aime bien participer à ce décloisonnement. Avec le plasticien Baptiste César et ses gravures au laser sur carreaux de faïence, on est à la frontière avec l’art contemporain. Cela tombe bien, le centre culturel Una Volta (que dirige Juana, ndlr) fut la toute première galerie d’art contemporain corse.
Vous préférez donner un coup de projecteur sur la nouvelle vague de la BD, pourquoi ?
Je crois que c’est un peu un réflexe de lectrice des Inrocks. Je lis le magazine depuis l’âge de 10-11 ans, mon grand frère était abonné. Découvrir avant tout le monde, écouter ce que tout le monde ne connaît pas… J’ai grandi avec cet état d’esprit de défrichage, c’est une manière de fonctionner que j’applique à la bande dessinée. Cela ne m’empêche pas d’avoir de la tendresse pour les classiques et les auteurs plus âgés. Je suis attentive à ce que la programmation ne soit pas obtuse. J’essaye de trouver un équilibre. Par exemple, tout le monde va être subjugué par le travail graphique incroyable d’Étienne Chaize.
Vous consacrez à Luz une exposition événement qui revient sur tout son travail depuis 2015 et Catharsis.
Victoria, ma chargée d’expo, était en peu en panique quand on a réceptionné toutes les planches, plus de 150 ! Quand on a ouvert les cartons, j’étais souvent surprise par un détail. Il est aussi surprenant dans ses compositions qui sont d’une liberté assez dingue. Je sens la continuité avec l’avant 2015, je crois que la formation au dessin de presse n’y est pas pour rien !
Propos recueillis par Vincent Brunner
BD à Bastia du 4 au 7 avril au centre culturel Una Volta, au musée de Bastia et à l’Arsenal.