“Neuf Mois”, l’émouvant hommage de Philippe Garnier à sa femme
Après la lecture de Neuf Mois de Philippe Garnier, les yeux piquent longtemps. Le titre est un faux-ami. Les neuf mois ne sont pas ceux d’une gestation mais le temps qui s’écoule entre le moment où Elizabeth Stromme, la femme de l’auteur, apprend qu’elle est atteinte d’un cancer indémerdable, décide d’arrêter tout traitement, se retire en compagnie de son Philippe dans un bungalow “confortable et moche” du nord de la Californie et meurt le 7 décembre 2006. Garnier est écrivain, critique de rock et de cinéma, traducteur et révélateur d’auteurs majeurs de la littérature américaine, dont John Fante et Bukowski. Pourquoi écrire sur la mort de sa femme ? Réponse à la dernière page : “J’écris […] non pas pour me faire pardonner, ni pour la faire revivre, mais plutôt comme un tribut à la femme dont j’ai toujours cru tout savoir, et qui m’a surpris jusqu’au bout.”
Le mot “tribut” fait de l’œil à l’anglais “tribute”, qui signifie à la fois hommage et compliment. Pour peu qu’on ait connu Elizabeth Stromme, ce qui est le cas de l’auteur de ces lignes, Liz, comme ses proches l’appelaient, “un diminutif de baby-sitter” note Garnier, méritait un exercice d’admiration. Une formidable excentrique méticuleusement décrite : hilarante, imprévisible, chaleureuse, bonne vivante, botaniste savante, avec un petit grain de folie qui germa dans un polar justement intitulé Gangraine (Gallimard, 2002) où elle mit à sac les multinationales de l’agro-alimentaire.
Comme les pieds dans deux canoës différents, le récit navigue entre “drôle de mort” et “drôle de vie”. Ce qui l’empêche de chavirer, quelle que soit la houle des émotions, c’est en effet la drôlerie, un humour de dingue même quand il n’y a pas de quoi rire. Mail de Liz à une agente littéraire, dans lequel elle lui demande si “mourir n’est pas considéré comme bénéfique pour une carrière”. Visite à Bukowski où elle rembarre le pochtron : “Don’t be an asshole.” Virée en juillet 1975 chez les parents de la dame qui accueillent Garnier, “cheveux gras et moustache navrante”, avec le même empressement “qu’un gitan sorti de taule”. Neuf Mois est un portrait à la vie à la mort où s’entête la ritournelle d’un amour fou : “L’arête fine de son nez, le plat de son front qui montait très haut, le menton rond un peu lourd, et une chevelure qui défiait la pesanteur et appelait la statuaire. »
Neuf Mois de Philippe Garnier (Éditions de l’Olivier), 120 p., 17,50 €. En librairie le 10 mai.