Le chocolat plus cher que jamais : comment la filière tente de s’adapter
Pour les amateurs de chocolat, la chasse aux œufs de Pâques ressemblera peut-être bientôt à un loisir de luxe. Un luxe à la hauteur du prix des fèves de cacao qui ont littéralement explosé au cours des dernières semaines. Coté à la Bourse de New York, le cacao vole de record en record : alors qu’il flirtait avec les 3 500 dollars la tonne à l’automne dernier, il a dépassé la barre des 4 000 dollars tout début janvier, enfoncé le seuil des 5 000 dollars un mois plus tard puis explosé à plus de 10 000 dollars ces derniers jours. Un niveau jamais atteint dans l’histoire. Certes, comme souvent sur les marchés de matières premières très erratiques, une bonne dose de spéculation a sans doute joué pour précipiter les cours à ces sommets stratosphériques.
La fève victime du big bang climatique
Mais le renchérissement de la fève de cacao tient d’abord à des effets structurels, au premier rang desquels le réchauffement climatique. Comme le soulignent les experts de Global Sovereign Advisory (GSA) dans une récente étude, depuis trois ans, la production mondiale enchaîne les contre-performances sur fond de dérèglement climatique lié notamment au phénomène El Niño. Deux années consécutives de sécheresse en 2022 et 2023 ont plombé les récoltes. Cette année, ce sont les pluies torrentielles qui ont précipité le développement de maladies - la peste brune - touchant en particulier les cacaoyers. En Afrique de l’Ouest, notamment en Côte d’Ivoire et au Ghana où se concentre plus de la moitié de la production mondiale, l’offre pourrait tomber à 1,7 million de tonnes cette année contre 2,3 millions en 2023…
Une chute drastique qui intervient dans un contexte international où la demande, tirée par la consommation de chocolat, ne cesse de croître. Résultat, le déficit mondial de fèves de cacao pourrait atteindre 376 000 tonnes pour la saison actuelle, un niveau jamais atteint, s’alarme l’Organisation internationale du cacao. Seule solution pour les négociants et les importateurs de fèves : piocher dans des stocks qui sont déjà au plus bas. Problème : le fonctionnement du marché de la fève est organisé principalement autour de ventes à terme. "Certains négociants ou intermédiaires pourraient faire défaut dans les prochains mois, ne parvenant pas à obtenir les quantités nécessaires pour remplir leurs obligations contractuelles", redoutent les experts de GSA.
Pour les géants de l’agroalimentaire comme pour les chocolatiers de la planète, ce déclin de la production mondiale pose une question presque existentielle : où s’approvisionner si les deux plus gros producteurs africains, la Côte d’Ivoire et la Ghana, marquent le pas ? Dans ce grand chambardement, l’Amérique Latine, berceau du cacao, est en train de revenir en force sur le marché après l’avoir délaissé pendant des décennies. En Equateur et au Pérou, de vastes plantations de cacaoyers ont vu le jour ces dernières années, affichant des rendements à faire pâlir d’envies les petits agriculteurs africains : quasiment 900 kilos par hectare au Pérou contre 500 en moyenne en Afrique de l’Ouest. Une performance qui doit plus à la science et à la chimie qu’au Dieu climat. Engrais, pesticides à gogo et surtout une nouvelle variété hybride, le CCN51, bien plus résistante aux maladies expliquent ces rendements miraculeux. Résultat, cette variété représente désormais les trois quarts des surfaces consacrées au cacao en Equateur et un peu plus de la moitié au Pérou.
Le dilemme de la déforestation
Du côté des importateurs de l’UE, un texte risque néanmoins de compliquer la donne : le règlement européen sur la déforestation qui doit théoriquement entrer en vigueur au 31 décembre 2024. Pour un certain nombre de produits agricoles, dont le cacao, les industriels de l’agroalimentaire ne pourront plus vendre sur le marché européen les produits dont les matières premières proviennent de zones récemment déboisées. Or, le cacao fait partie des cultures les plus de déforestatrices. En Afrique, on estime que le Ghana et la Côte d’Ivoire ont perdu, au cours des trente dernières années, respectivement 65 % et 90 % de leurs couverts forestiers, en grande partie en raison du développement des plantations de cacao. "Sur le papier, ce règlement est une avancée révolutionnaire dans le commerce mondial", se félicite Blaise Desbordes, le directeur général du label environnemental Max Havelaar.
Sauf que sur ce sujet, comme tant d’autres, la machine normative bruxelloise s’est emballée. Contrôle impossible à mener, enfer bureaucratique promis aux producteurs qui n’ont pas forcément la capacité, ni les ressources, pour répondre à ces nouvelles exigences. "Le risque est réel de voir se développer des exportations frauduleuses en provenance de pays comme la Sierra Leone, le Liberia ou encore le Cameroun, là où les rentes forestières sont encore énormes", reconnaît Blaise Desbordes. Alors que la Commission européenne s’arc-boute sur ce règlement, à Bruxelles, le lobbying des géants de l’agroalimentaire s’intensifie pour demander un report de ce nouveau texte. Le temps de trouver de nouvelles sources d’approvisionnement pour satisfaire l’appétit toujours dévorant des amateurs de chocolat.